Alias (ABC, 2001/2006 – 5 saisons, 105 épisodes)
Outre son générique grossièrement insupportable, Alias demeure certainement la plus belle démonstration de narration échevelée tel que l’affectionne JJ Abrams. Série d’espionnage empruntant allégrement à la mécanique des serials (mécanique qui, plus tard, sera reprise et peaufinée à merveille dans Lost), Alias est une œuvre boostée à l’adrénaline – quitte à perdre toute vraisemblance- portée par une actrice totalement investie dans son rôle.
Réservoir de seconds couteaux à l’ambiguïté délectable (Victor Garber et surtout Ron Rifkin), drame familial dans lequel les proches se déchirent et se trahissent à coups de théâtre tonitruants, Alias a fait de la CIA un vrai décor de tragédie où les masques et la vérité sont interchangeables. Victime de sa propre frénésie, elle a paradoxalement souffert de sa durée, tirant la langue vers les derniers mètres de son existence pour préserver l’attention. Elle n’en demeure pas moins un diable de feuilleton dont la dynamique m’a laissé, ma sœur et moi, plus d’une fois exsangue.
Boston Public (Fox, 2000/2004 – 4 saisons, 81 épisodes)
Un jour, David E.Kelley s’est réveillé et s’est dit qu’il allait troquer ses avocats fétiches contre le corps enseignant. Mais pas n’importe lequel, celui de l’école publique. C’est peut-être un détail pour vous mais pour la Fox, chaine conservatrice par excellence, cela voulait dire beaucoup. Car, si le décor et la profession changent, le scénariste prolixe et surdoué d’Ally McBeal et de The Practice ne perd pas en chemin son haut sens du civisme.
Inégale certes mais louable, Boston Public est une plaidoirie lucide qui prône désespérément les vertus de l’enseignement, premier et seul véritable rempart à l’ignorance, la délinquance et -de fait- la misère. Avec, parfois il faut le reconnaitre, de gros sabots mais également une sincérité irréfutable, Kelley fait du lycée Winslow un microcosme bouillonnant renvoyant Esprits rebelles à ses propres clichés. Il faut dire qu’à la place Jessalyn Gilsig (que l’on retrouvera plus tard dans Friday Night Lights et Vikings) était plus jolie convaincante que Michelle Pfeiffer.
Rare immersion d’un network dans un établissement public (donc aux conditions de travail extrêmement difficiles), diffusé sur France 2 en plein après-midi les jours de semaine (soit quand tous les lycéens étaient eux-mêmes censés être en cours), Boston Public n’a pas rencontré le succès escompté par son auteur. Toutefois, durant les quatre petites saisons de son existence, elle a marqué tous les spectateurs qui y sont entrés.
Carnivàle, la caravane de l’étrange (HBO, 2003/2005 – 2 saisons, 24 épisodes)
Carnivale, c’est…tellement plus qu’une série.
Si elle m’a autant marquée, c’est plus que pour ses – assez impressionnantes il faut le reconnaître- qualités visuelles et son univers peuplé de circassiens et de saltimbanques. Carnivale, c’est l’art de l’enchantement. On est subjugués devant elle. On pleure devant elle, on rit devant elle, on tremble devant elle. Regarder Carnivale, c’est remonter le temps à une époque où chaque avancée technologique relevait presque du prodige. C’est écouter une histoire que l’on connait depuis notre tendre enfance, celle du combat entre le Bien et le Mal, mais racontée autrement.
Avec à la fois une maitrise du discours et du récit mais aussi une forme de mystère qui balaie le manichéisme pour dévoiler d’autres choses, d’autres portes, d’autres ailleurs. L’imaginaire est vaste et ne connait pas de frontières; cela, Daniel Knauf, le créateur de la série, l’avait bien compris. Mais ce qu’il y a de profondément passionnant, et de notable, c’est que cet imaginaire fait écho à notre propre Histoire. Et comme je suis plutôt d’humeur à toujours voir le verre à moitié plein, qu’elle ait existé pendant deux années est déjà extraordinaire en soi.
Deadwood (HBO, 2004/2006 – 3 saisons, 36 épisodes/ 2019: 1x 110′)
Même si le terme est souvent utilisé avec facilité, surtout lorsque l’on évoque un récit qui s’ancre dans une communauté, il est tentant de présenter Deadwood comme une fresque. Une grande fresque, fourmillante de détails et de maîtrise, et qui fait de l’expansion urbaine présente en arrière-plan le socle de sa narration même.
Au fur et à mesure que la ville se construit, se modernise et s’étend, la densité des histoires supervisées par le tempétueux David Milch acquiert une dimension des plus allégoriques. Deadwood, c’est tout bonnement la construction de l’Amérique qui s’opère sous vos yeux. Ce n’est pas à proprement parler un western (vous n’y verrez aucun duel au pistolet) mais ce n’est pas totalement une série historique. C’est un drame humain avant tout, où le whisky coule à flot, où la boue vous embourbe lorsque l’on traverse la rue et où, fatalement, le sang est versé en cas de litige. Deadwood, c’est un régal de seconds rôles et de personnages féminins d’autant plus admirables que même le plus honnête et le plus noble des hommes n’est jamais à l’abri d’une bassesse. Deadwood, c’est surtout le défilé de trognes le plus réjouissant de cette dernière décennie (Al Swearengen, cocksucker !) et dont les plus beaux atours calfeutrent à peine des tempéraments violents, sordides ou bas du front, lorsqu’ils ne sont pas carrément expéditifs. Appartenant tristement au cimetière des morts prématurées de la chaine HBO, cette série fait d’une fausse lenteur un atout prodigieux, élégant, qui séduit, fascine et passionne jusqu’au dernier plan. Un chef-d’œuvre, tout bonnement.
Lost (ABC, 2004/2010 – 6 saisons, 121 épisodes)
Étonnamment, si Lost continue toujours à faire parler d’elle, c’est un peu à ses dépens et principalement en raison de sa conclusion qui a radicalement divisé le monde en deux camps bien distincts : ceux qui ont adoré et ceux qui n’ont pas compris pourquoi ils devraient adorer.
Petite blague à part, et même les détracteurs des derniers mètres vous l’avoueront, peu de séries modernes auront su -avec une inventivité aussi déconcertante que prodigieuse – fédérer autant de personnes et de personnalités différentes semaine après semaine. Bien sûr que Lost maitrisait le sens du twist, de la révélation fracassante et du rebondissement qui vous laissait béat, terrassé, et sans défense aucune. Lost, c’était une drogue. Dure. De celle qui vous forçait à devenir insomniaque. La série binge watching par excellence et cela avant même l’invention de l’expression. Mais ce n’était pas qu’une mécanique narrative haletante qui empruntait la charpente tortueuse et hypnotique des Contes des Mille et Une Nuits. C’était des moments de joie, de bravoure, de suspense, de sentiments forts et passionnés, de tendresse, de déception et d’émotions. Multiples. Lost, c’était une aventure collective. Interactive. Magnifiquement et terriblement humaine. Sa conclusion, si elle a soulevé des sommets d’injures de par le monde, montre bien que les spectateurs se sentant floués étaient investis corps et âme dans une fiction (!) comme rarement. En ce me concerne, je l’ai trouvée audacieuse, poignante et pleine d’audace. Pleine d’audace parce que le point final de cette épopée télévisuelle peu commune (preuve en est que tout le monde, une fois la série finie, a voulu produire son Lost) se trouve précisément dans le travail du deuil. On dit non seulement adieu à une série mais à des personnages que l’on a suivi, détesté, aimé pendant six saisons. Honnêtement, j’envie toutes les personnes qui ne se sont pas encore rendu sur cette île: vous ne savez pas la chance que vous avez…
Malcolm (Fox, 2000/2007 – 7 saisons, 151 épisodes)
Découverte par un pur hasard de zapping sur M6 (mais comme tout le monde non ?), Malcolm m’a séduit immédiatement. Comment résister à un humour qui fait du quiproquo, de la déveine, des erreurs, des faux pas, de la catastrophe, bref du carnage absolu le socle d’affection d’une famille dysfonctionnelle issue de la classe moyenne américaine ?
Pourtant, Malcolm n’est pas une série qui humilie les petites gens dans le seul but de provoquer le gag. Au contraire elle les aime pour tous leurs défauts et toutes leurs petites faiblesses, précisément parce ce sont eux qui font le sel et la richesse de ces mêmes personnes. Incroyable galerie d’individus aussi farfelus qu’attachants, Malcolm montre mine de rien, sous un déluge cartoonesque et une suite de gags inspirée par la tradition du slapstick, que l’Amérique moyenne est loin de vivre le rêve qu’on leur avait promis. Il est fort probable que la Fox y ait vu une série satirique qui taclait gentiment ces banlieusards un peu benêts, trimant pour arrondir leurs fins de mois. Il suffit toutefois de prêter l’oreille à la phrase clé qui clôture le générique: Life is unfair. Tout y est.
Scrubs (NBC, ABC, 2001/2010 – 9 saisons, 182 épisodes)
Ah Scrubs… Faire rire n’est déjà pas facile en soi mais parvenir à le faire dans le dernier endroit susceptible de déclencher l’hilarité relève d’une gageure que peut de personnes peuvent réussir. Bill Lawrence l’a accompli et, ce, d’une manière aussi modeste qu’admirable.
A l’instar d’Urgences dans laquelle John Carter était le point d’entrée du Cook County de Chicago, John Dorian (alias JD) est celui avec lequel on pousse les portes de l’hôpital du Sacré-Cœur. Toute la série (hormis la saison 5, davantage portée sur le cartoon) est construite sur son apprentissage du métier de soignant et sur la façon dont il appréhende son quotidien. Un quotidien ponctué de soliloques, de réflexions, d’interrogations, de projections et de fantasmes (idiots certes mais souvent révélateurs de l’esprit désorienté de JD) que le spectateur partage avec jubilation. Même si l’architecture d’un épisode est assez routinière, car se déroulant sur une journée, Scrubs ne lasse quasiment jamais. Précisément parce que l’imaginaire de JD ne connait aucune frontière, cette immersion dans un contexte réaliste, lui-même traversé par des visions surréalistes, crée, de fait, un univers où -même si l’on continue de vivre et de mourir- tout est possible. Rien que pour cet équilibre miraculeusement atteint, Scrubs est essentielle. Existentielle.
The Shield (FX, 2002/2008 – 7 saisons, 88 épisodes)
Radicale. Extrême. Violente. Que ce soit sur le fond ou sur la forme, The Shield est à l’image de son personnage principal, Vic McKey, sorte de boulet de canon en perpétuel mouvement qui écrase tout sur son passage. Spécialiste des coups douteux, infâme quand il se juge bon de l’être, ordure capable de se frayer une sortie pour s’échapper du plus étroit des traquenards, crapule de la plus pire espèce, sommet d’égoïsme et de cruauté, tutoyant les vertiges de l’illégalité en retombant toujours (même in extremis) sur ses pattes, McKey est probablement -avec Tony Soprano- le personnage télévisuel le plus paradoxal de cette dernière décennie. Parce qu’il déclenche malgré tout, ci et là, quelques éclairs d’empathie, de connivence à l’arrachée, de fascination voire d’admiration. Et c’est là toute la force de cette série : ses collègues, ses amis, ses supérieurs voient McKey comme un monstre effrayant parce que lui n’hésite pas à transiger moralement sur le choix d’une action, fusse-t-elle condamnable, à exécuter. L’accompagner jusqu’à son inévitable chute reste, à ce jour, l’une des expériences les plus éprouvantes dans ma petite vie de spectateur. Sa septième et ultime saison est un pur chef-d’œuvre à elle-seule et sa conclusion, au silence plombant et frontal, demeure d’une impartialité aussi brillante qu’exemplaire.
Six Feet Under (HBO, 2001/2005- 5 saisons, 63 épisodes)
Récompensé à juste titre par l’Oscar du meilleur scénario pour American Beauty, Alan Ball a gentiment remercié tout le gotha d’Hollywood…et s’en est allé travaillé chez HBO. S’il connaissait déjà le milieu de la télévision (Ball ayant déjà pigé plusieurs histoires pour Cybill et Grace Under Fire), le créateur de Six Feet Under a transposé pendant cinq saisons tous les thèmes qui habillaient déjà, avec grandeur et élégance, la force du film de Sam Mendes. La famille disloquée, la sexualité, la drogue, la provocation, la satire, le flirt avec le tabou, l’anticonformisme, la vie, la mort…tous ces petits riens qui façonnent la fragilité et la beauté de notre quotidien, Alan Ball et ses scénaristes les ont merveilleusement saisis pour les magnifier à l’extrême.
Étrangement, j’ai toujours pensé que la série se suffisait amplement sur sa seule et radieuse première saison; sa philosophie hédoniste y étant parfaitement résumée et brillamment incarnée. Les suivantes, si elles demeurent d’une sensibilité à fleur de peau qui écorche – parfois de manière trop démesurée à mon goût – la famille Fisher, s’équilibrent miraculeusement entre la folie la plus dingue et la beauté la plus crue. Son final, bouleversant, a vidé de toutes les larmes de mon corps. Et peu de séries peuvent se targuer de pareilles prouesses.
24 heures chrono (Fox, 2001/ 2010 puis 2014 – 9 saisons, 204 épisodes)
On aurait tort, mais vraiment tort, de cataloguer 24 heures chrono comme le parfait étendard télévisuel de la politique bushienne, rappelant au monde entier que les USA étaient, sont et resteront à jamais les sauveurs de la planète. 24 heures chrono demeure, avant tout, un sacré feuilleton en temps faussement réel (certes la série était diffusée sur la Fox pendant un créneau d’une heure mais ce créneau incluait quinze minutes de publicité aux quarante cinq que durait l’épisode), avec son héros blessé – et se blessant beaucoup – ses méchants retors, ses rebondissements inattendus et téléphonés, sans oublier ses délicieuses grosses ficelles. A l’instar d’Alias, la série de Joel Surnow et Robert Cochran fonctionne comme un bon serial où ce qui prime le plus n’est pas d’être crédible sur le terrain géopolitique (encore qu’il y aurait beaucoup à débattre sur ce sujet) mais sur celui du divertissement pur et dur. Étant donné le nombre de paquet de cookies que j’ai dévoré devant les tribulations de « Jack Bauer, CTU », 24 a largement rempli les termes de sa mission. Et puis, comment vous dire que, en dépit de toutes les railleries dont elle fut l’objet, j’ai toujours été un fervent admirateur de Kim Bauer. Donc…
The Wire (HBO, 2002/2008 – 5 saisons, 60 épisodes)
On a beaucoup, énormément, parfois lourdement, clamé à corps et à cris que The Wire était la meilleure série du monde. De manière générale, ce genre d’étiquette m’a toujours un peu gêné, ne serait-ce que pour deux raisons. La première, c’est que cela voudrait dire que l’on ferme impartialement la porte aux autres prétendantes. La seconde, c’est que l’on expulse arbitrairement toutes les personnes qui ne seraient pas d’accord ou qui, tout bonnement, auraient peur d’avouer qu’en fait, eh bien non, elles n’ont pas aimé The Wire. Il n’empêche que Sur écoute (en français dans le texte) est une série atypique dans l’histoire de la télévision américaine.
A la période de sa diffusion, personne ne la regardait; HBO la produisait parce que la série ne lui coûtait guère et qu’elle lui assurait dans la foulée une renommée critique lui permettant de bomber le torse auprès de ses pairs. On l’a donc redécouverte lorsque son existence arrivait à terme, principalement grâce aux éditions DVD et à un bouche-à-oreille des plus favorables. Ce qui lui confère un statut à part, donc, c’est qu’elle est ouvertement et frontalement engagée. Beaucoup de fictions contemporaines possèdent une dimension critique, qu’elle soit satirique ou politique, mais en arrière plan de leur ensemble narratif. On peut regarder The Wire comme une exigeante série policière (ce qu’elle est en partie) mais elle demeure, avant tout, un pamphlet résolument désenchanté sur les ramifications, les dérives et les ravages d’un système capitaliste proprement désastreux. C’est, d’ailleurs, ce qui nous est donné à voir : The Wire commence par un trafic de drogue et montre tous les niveaux et tous les réseaux que ce trafic alimente; à l’instar de Lester Freamon et de sa célèbre sentence (« Lorsque l’on remonte la filière de la drogue, on trouve des junkies et des dealers. Mais si on commence à suivre la filière de l’argent, alors on n’a pas la moindre putain d’idée de vers où on se dirige »), l’argent est bien le seul maitre à bord qui met tout le monde d’accord. Plus que son impressionnante (et très cohérente au demeurant) galerie de personnages, l’œuvre de David Simon fissure notre écran de télévision pour nous immerger dans une réalité qui nous dépasse et qui, pourtant, nous entoure au quotidien.
Jamais, je crois, une série ne m’avait à ce point ouvert les yeux de manière aussi ambitieuse et brillante sur le monde, sur ses rouages, sur sa logique (ou son absence de), me laissant à la fin la sensation d’appartenir pleinement à l’ensemble. Avec aussi le sentiment d’avoir peut-être, peut-être, un rôle à jouer.