Better Call Saul – Grandiose. Tragique. Meilleure que son modèle.

Jimmy McGill est un brave type. Doté des meilleures intentions du monde. Un peu poisseux, un peu chiche, Jimmy tente au quotidien de conjurer un mauvais sort un peu trop insistant en se confortant à l’idée que, persister, c’est espérer des jours meilleurs. Des jours où son talent d’avocat ne se limitera pas à de petites affaires absurdes, désespérées, dans lesquelles son talent de comédien rehausse le ridicule des cas que l’on veut bien lui confier. En attendant, lorsqu’il ne trouve pas le temps de se reposer dans l’étroitesse de sa chambre située à l’arrière-boutique d’un salon de manucure asiatique, Jimmy surnage comme il peut dans l’aquarium routinier de son existence. Déconsidéré par son propre frère sur lequel il veille pourtant affectueusement, raillé par ses pairs, même sa voiture, épave ambulante et à l’agonie s’il en est, lui occasionne bien des soucis. Jimmy ne trouve grâce et répit qu’aux yeux de Kim Wexler, avocate dévouée et travailleuse, qui voit parfaitement que le garçon possède un potentiel prometteur. A condition que ce dernier ne dérive pas du Droit chemin…

Préquelle centrée sur le futur avocat véreux de Breaking Bad, Better Call Saul fut d’abord annoncé comme une comédie. De fait, le projet avait de quoi attiser les craintes en s’aventurant sur la mauvaise voie: celle d’un genre plus farcesque que son aînée, grande tragédie décadente sur la fin de la morale chez le quidam moyen. Pour son bien, Better Call Saul a finalement choisi de poser ses marques sur le terrain du drame mâtiné d’humour et de mélancolie noire. Certes, de façon moins prononcée que son illustre modèle mais en gardant une qualité de mise en scène tout aussi exemplaire. Et en se complaisant, il est vrai, un peu trop dedans parfois pour le plaisir de nos beaux yeux. Comprendre par là que Better Call Saul prend son temps: c’est à la fois sa grande qualité et le défaut majeur de ses débuts. Ce faisant, elle donne l’impression de ne pas savoir sur quel pied danser, devenant une sorte de fiction hybride abritant deux séries en une (l’une axée sur Jimmy McGill, futur Saul Goodman donc et l’autre sur Mike…qui, en quelque sorte, est déjà le Mike taciturne que l’on connait). Paradoxalement, elle soigne l’ensemble de ses personnages avec une attention et un souci du détail largement plus appuyé que le modèle dont elle est issue.

Davantage que dans Breaking Bad, majoritairement centrée sur Walter White, BCS fait la part belle à Jimmy mais à tous les protagonistes qui l’entourent, de près et de loin; la série offrant là plusieurs topos d’action et de narration, à l’intérêt tout aussi recommandable. C’en est même assez fabuleux: à cette époque où l’on nous bassine les oreilles avec le binge watching, BCS dégoupille le sort à venir de Jimmy aussi patiemment que possible. En plus d’un style visuel inventif, pertinent et plein de panache, elle se décante et se bonifie avec un rythme qui va à contre-sens de la majorité des fictions télévisées d’aujourd’hui.

« Chaque petit détail, chaque petite scène anodine en apparence
trouve un écho de logique et pertinent en fin d’épisode ou plusieurs épisodes plus tard. »

Entre deux rappels d’adrénaline et de tension, les scénaristes privilégient les longues parenthèses qui précédent les grandes envolées. Ils parviennent à nous faire aimer les personnages les plus détestables de la même manière que ceux pour lesquels notre affection est immédiate. Les seconds rôles sont impayables. On prend le temps, simplement, de faire durer une scène le temps nécessaire si besoin. Non pas pour le plaisir de la pose mais pour le plaisir tout court. Même, et cela en est d’autant plus flagrant à la vision de la troisième saison, s’il en résulte un rythme à deux vitesses qui pourrait paraitre répétitif, la série de Vince Gilligan et Peter Gould adopte une cadence qui tient fichtrement bien le cap. Ses arcs s’orchestrent et s’enchainent parfaitement, sur la durée, avec un éclat discret mais tenace, cohérent, qui continue de faire son effet une fois l’épisode achevé. Au point de faire sacrément de l’ombre au modèle dont elle est issue.

Bien sûr, face aux montagnes russes que furent les trois dernières saisons de Breaking Bad, Better Call Saul renvoie l’image d’une série où il se passe(rait) peu de choses. Pourtant, chaque petit détail, chaque petite scène anodine en apparence trouve un écho de logique et pertinent en fin d’épisode ou plusieurs épisodes plus tard. Et, sans doute parce que les exécutifs d’AMC leur ont donné une ligne d’horizon vers laquelle se diriger (la série s’achèvera à l’issue de la saison 6), les scénaristes de BCS démontrent à chaque épisode leur savoir-faire en terme de tension et de cadence dramatique. En résulte un récit à la fois épatant et vertigineux. L’essentiel pour le spectateur n’est même pas de guetter le fan service, ni de relier les points avec la série matricielle vers laquelle BCS converge en terme de temporalité mais d’assister – avec frénésie et appréhension- aux choix qui vont peu à peu parer Jimmy du costume clinquant et peu recommandable de Saul Goodman.

Meet Kim Wexler. Comment diable pourrait-on ne pas trouver ce personnage sympathique avec pareil sourire ?

On pourra rétorquer que Breaking Bad, jusqu’à son titre même, charriait une thématique similaire : la mue d’un personnage en une sorte d’entité amorale. C’est vrai. À la différence près que Walter devient, et assez rapidement, une ordure de premier ordre. Un ordure terrifiante, et donc fascinante à suivre jusque dans ses méandres ténébreux, mais une ordure. Malfaisante et abjecte. Jimmy, lui, est, comme je le disais plus haut, un brave type. Un brave type qui louvoie souvent avec les règles mais un brave type auquel il est difficile de résister, en dépit de toutes les décisions pourries qu’il emmagasine. Sa mue arrive par paliers, par chocs, par coups et blessures encaissées sur le long terme ; la plus décisive étant sans doute le deuil d’une figure fraternelle plus que cruelle à son égard *. A ce stade de l’article (la saison 5 va se terminer dans une semaine), et quand bien les limites à l’éthique ont largement été franchies, Jimmy/Saul demeure malgré tout un personnage que l’on aime. Tout simplement.

La raison ? Elle tient en un visage. Et en un nom : Kim Wexler, portée par la merveilleuse, la magnifique et la je ne sais quoi de sexy Rhea Seehorn. Le duo qu’elle incarne avec Bob Odenkirk, assurément la formule magique qui fait la grandeur de ce show **, est sûrement l’un des plus beaux, et l’un des plus épatants, qu’il nous ait été donné de voir depuis des lustres. Dans ce duo réside l’atout de BCS et la supériorité de ce préquelle vis-à-vis de Breaking Bad. Parce que l’émotion. Parce que Kim et son sourire. Kim et sa tendresse. Kim et sa raison. Kim et ses yeux qui veillent, alertent et implorent. Kim, ou la constante d’une éthique, d’une morale qui vacille en raison de ses sentiments envers Jimmy. Kim et son goût du danger. Kim, qui n’est rien d’autre, finalement, qu’une splendide personnification de ce qu’est le spectateur. Un être transi, empathique, et terrifié de ce qui l’attend. Un être imprévisible également car prêt à se brûler les ailes par amour. Un être humain. Terriblement, et tragiquement humain. Si Better Call Saul est devenu l’un des plus grands dramas que la Terre ait jamais porté, c’est bel et bien grâce à cette femme.

Notes en plus:

* Cette figure fraternelle est incarnée, avec droiture et perfection, par Michael McKean. Le deuil, et la culpabilité de ce dernier chez Jimmy, est l’une des premières défenses qui sautent à l’issue de la saison 3 de la série.

** On ne dira jamais assez à quel point Rhea Seehorn et Bob Odenkirk font feu de tout bois à chacune de leur apparition. Si l’alchimie entre eux deux est évidente, ces deux acteurs démontrent également un talent monstrueusement nuancé lors leur partition individuelle.

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