Breaking Bad (AMC, 2008/2013 – 5 saisons, 62 épisodes)
Avec le recul, il est tout de même assez drôle que l’une des meilleures séries américaines de cette dernière décennie ait connu un succès aussi planétaire. Pensez donc: dans un univers de création où le Temps est à la fois votre allié et votre pire ennemi, où il faut redoubler d’inventivité pour être maintenu à l’antenne, qu’une histoire aussi dingue que ne l’est celle de ce professeur de chimie brillant, un peu timide, un peu gauche, mais atteint d’un cancer en phase terminale ait duré aussi longtemps relève presque du miracle.
Bon, évidemment, le miracle (et la longévité par extension) tient sur une idée simple mais géniale: assister à la métamorphose de cet être chétif en un baron impitoyable de la drogue. Mais tout de même…bâtir pareille œuvre alors que votre principal atout est voué à disparaître est un exploit dont on reparlera encore dans le prochain quart de siècle à venir. Toute la grandeur de la série développée par Vince Gilligan réside dans ce paradoxe, qui permet de creuser la psychologie d’un homme qui est déjà condamné et en parallèle de jeter sur notre propre société un regard terriblement acerbe, violent et d’une pertinence qui dépasse tous les discours. Par amour envers sa famille puis par pur appât du gain, Walter White est l’incarnation même de la déviance inévitable du rêve américain doublé d’un redoutable génie du Mal. Plastiquement éblouissante, d’une intensité absolue, dotée d’un pool de scénaristes tous aussi brillants les uns que les autres, Breaking Bad est un chef-d’œuvre qui atteint son pic dans sa troisième saison et qui maintient le cap à un rythme assez dingue jusqu’à sa conclusion.
Si elle m’a fait changer plusieurs fois d’oreillers (à force de crier dedans de peur et de les serrer jusqu’au sang de peur aussi), elle rappelle avec une droiture morale extrêmement fine que l’Enfer est un territoire parfois attirant, souvent grisant mais dont on ne revient jamais.
Community (NBC puis Yahoo, 2009/2015 – 6 saisons, 110 épisodes)
Une série de doux-dingues, sur des doux-dingues, écrite par un dingue avec une douceur infinie. Regarder Community, c’est accepter un point de départ déjà gaguesque (un avocat véreux est envoyé dans une Community College puis, séduit par l’une de ses camarades, use d’un stratagème pour former un groupe d’études) pour comprendre que ce dernier sert de prétexte tenace afin de disserter sur l’amitié… et à peu près tout ce qui touche à la culture populaire.
Riche en références, que l’on peut choisir ou non de saisir au vol, la série de Dan Harmon est l’exemple criant qu’NBC ne regarde pas tout ce qu’elle possède en rayon. Parce qu’elle est la métaphore parfaite du grain de sable qui se faufile dans les rouages de la machine. Parce que La Biblioteca est le meilleur tube en espagnol que j’ai jamais entendu. Parce qu’elle était un cartoon avec de vrais gens dedans. Parce que ses personnages sont des éternels incompris qui réussissent, miraculeusement, à s’entendre avant de se dire au revoir. Parce que sa turbulence fut sa plus belle preuve d’existence. Parce qu’elle s’autorisait tout. Parce qu’elle était drôle sans être hilarante, émouvante sans être triste, Community fut la justification probante et originale de toutes les heures passées devant un écran. Et, croyez-moi, ce n’est pas rien.
Dexter (Showtime, 2006/2013 – 8 saisons, 96 épisodes)
Écartons, d’emblée, d’un revers de main conscient de la suite des débats les remous qui secouèrent allégrement la série en fin de course. Oui, Dexter n’aurait du être diffusée que le temps de sa première et déstabilisante saison. Rarement, une série m’avait troublée, à ce point, dès le pilote. Si l’on a énormément raillé le final de la série créée par James Manos Jr, et que l’on a polémiqué sur le virage souvent grotesque, et grossier, qu’opéra Dexter dans ses dernières années, il faudrait être de sacrée mauvaise foi pour oublier à quel point l’ambiguïté malsaine des débuts de la série tranchait net avec le lot d’anti-héros que la télévision câblée offrait au tout venant.
Expert en médecine légale de jour, tueur en série la nuit, le personnage de Dexter dérangeait pour la fascination morbide qu’il vouait à ses « confrères » de crime, comparant souvent le modus operandi des autres tueurs dont il voyait les victimes à sa propre façon d’exécuter ses proies. Tout en dressant en arrière-plan une intrigue policière plus ou moins adroite à chaque nouvelle année, la série continuait d’intéresser parce qu’elle mettait au même niveau l’incapacité psychologique de Dexter à s’adapter socialement avec la critique, tacite, de son sens très personnel de la justice. Capable d’un suspense électrique comme du ridicule le plus maladroit, depuis la découverte de son excellent générique (qui, vers la fin, constituait encore ce que le show pouvait offrir de meilleur), je ne regarde plus mon petit-déjeuner de la même façon.
Friday Night Lights (NBC puis The 101 Network, 2006/2011 – 5 saisons, 76 épisodes)
A l’instar de The Wire, redécouverte a posteriori de sa diffusion sur HBO, Friday Night Lights fut peu regardée mais grandement soutenue par une poignée de critiques et de fidèles passionnés. Moi-même, je l’ai découverte sur le tard, lui laissant le bénéfice d’une seconde chance après une première tentative peu convaincante. J’ai tellement été happé par la tendresse des scénaristes à l’égard de cette bourgade du Texas que j’ai délaissé toutes mes séries en cours de l’époque.
Pourtant peu enclin à la frénésie du sport en général, je n’ai pu m’empêcher de vibrer avec ces personnages qui s’extraient tous progressivement du registre du soap pour évoluer sur le terrain d’une chronique sociale juste, adroite et sans fausse démagogie. Comme un bon roman qu’on ne veut pas déposer sur sa table basse malgré l’heure tardive qui vous somme de vous endormir, une fois libre de toutes mes contraintes du jour, je ne voulais qu’une seule chose: partager une bière avec Tim Riggins, soutenir corps et âme l’équipe des Panthers…bref, revenir à Dillon. Désormais, les cieux incandescents et les grandes plaines désertiques de cette ville fictive mais familière font partie intégrante de mon paysage personnel.
Fringe (Fox, 2008/2013 – 5 saisons, 100 épisodes)
Dans un univers parallèle, c’est-à-dire le nôtre, et vue son audience en déclin, une série comme Fringe aurait été annulée à l’issue de sa troisième saison. Sans sommation. Trop de promesses, pas assez de rendus.
Produite par JJ Abrams ©, sérieusement envisagée par la Fox comme le successeur de Lost, improbable cocktail de The X-Files et de La Quatrième Dimension, Fringe mit beaucoup de temps à décoller les étiquettes qu’on lui avait posé sur ses frêles épaules. Sa mythologie peinant à construire des fondations solides et, surtout, une attente démesurée envers sa petite personne a beaucoup joué en sa défaveur, créant de fait un trou béant entre le sérieux qu’on voulait lui porter et le ton totalement ludique, foutraque, qui la caractérisait. Dans un premier temps, j’avoue avoir commencé la série uniquement pour le capital nostalgie qu’elle possédait involontairement: en fan de Dawson que j’assume être, je ne pouvais laisser passer une occasion de regarder une série avec Joshua « Pacey Witter » Jackson. Qu’elle soit le nouveau fruit issu de l’usine à production de JJ Abrams ajoutait une raison supplémentaire pour que je croque le show à pleines dents.
Bien sûr, comme beaucoup, je fus déçu : Fringe ressemblait à tout et majoritairement à rien, semblait perdue, hésitante, confuse, et ne donnait guère envie de s’attacher à ses personnages. Et puis, le sixième épisode fut un déclic. Le casting aidant, Fringe est devenu à mes yeux un incroyable comic book cathodique et ludique, assumant son statut de luxueuse série B. Mine de rien, saison après saison, échappant in extremis à l’annulation, Fringe commença à tisser en parallèle une métaphore plutôt inspirée sur l’empreinte de l’Homme sur son environnement naturel. Plus que tout, porté par le mirifique John Noble (qui m’arracha à de nombreuses reprises quelques larmes bien senties), elle a su relier sa mythologie balbutiante avec la trame d’un drame familial réussi qui rappelle que la peine et le chagrin sont les deux origines de notre propre illogisme.
Kaamelott (M6, 2005/2009 – 6 saisons, 458 épisodes)
Comment aborder cette série à la fois populaire, futée, drôle, grave et mélancolique, qui revisite une saga sacrée pour en accoucher d’une œuvre éminemment personnelle ? En parlant, sans doute, de l’homme derrière le mythe. Du génie derrière la saga.
Kaamelott, c’est Alexandre Astier dans ce qu’Alexandre Astier peut offrir à la télévision de plus éclectique, de plus varié, de plus intelligent. C’est une short com dialoguée à la perfection, menée tambour battant par une galerie de personnages impayables et uniques, qui se mue progressivement en un drama existentiel, plus allongé donc davantage introspectif, sur la quête du savoir et du lien familial. Kaamelott, c’est tout le gratin du cinéma, du théâtre et des humoristes qui vient tenter d’apposer sa pierre à l’édifice. Ce sont des punchlines en cascades, des répliques cultes et une succession de scènes parmi les plus hilarantes jamais vues à la télévision française. C’est à la fois une somme et une multitude de détails. C’est les Chevaliers de la Table Ronde et Perceval. Ou Perceval et Karadoc. Ou Yvain et Gauvain. Ou Arthur contre le reste du monde. C’est ce que vous voulez bien y voir. Ou y lire. C’est l’esprit de troupe et la solitude en sourdine. C’est le long métrage qui survient après dix années d’absence. C’est un (k)adeau jubilatoire, thérapeutique et parfait jusque dans ses imperfections. C’est un classique instantané.
Studio 60 on Sunset Strip (NBC, 2006/2007 – 1 saison, 22 épisodes)
Incroyable mais vrai: au début des années 2000, vous aviez beau diffuser une série écrite par une pointure telle que Aaron Sorkin (The West Wing), avec Matthew Perry, Bradley Whitford et Amanda Peet comme éléments majeurs de votre casting, les audiences avaient encore le dernier mot (Spoiler: c’est toujours le cas).
Aussi brillante et lumineuse que ne le fut Studio 60 on Sunset Strip, la série fut annulée au terme de sa première et unique saison. Étonnamment,et contrairement à d’autres séries brutalement stoppées en cours de route, l’arrêt de ce show ne me provoqua pas une forme de tristesse et de frustration. Pour l’avoir revue récemment, je partage encore ce sentiment. En vingt-deux épisodes, Studio 60 on Sunset Strip passe par tellement de prismes et de thématiques que l’on a l’impression d’avoir plusieurs saisons condensées en une. De la satire acide à la romance parfaite, de la comédie au drame intimiste, Sorkin nage au-dessus d’une multitude de registres et laisse les comédiens mener la barque avec un tempo tellement parfait que chaque épisode, y compris les moins réussis, sont tous excellents. Plus qu’une satire de la télévision, Studio 60 on Sunset Strip est une exposition essentielle de ce qui constitue l’œuvre de Sorkin : une plume affûtée, un regard humaniste sur le monde, une volonté de porter le divertissement et la connaissance au plus haut et, surtout, une galerie d’hommes et de femmes pétris de défauts mais entièrement dévoués à leur art. Ce réjouissant esprit de troupe (que l’on retrouvera dans ses autres séries) est si communicatif qu’une fois la série terminée, on n’a qu’une seule envie : la voir de nouveau.
On en a parlé:
Aaron Sorkin – Reflets et variations autour de la télévision
United States of Tara (Showtime, 2009/2011- 3 saisons, 36 épisodes)
Une drôle de série. A la fois survoltée, amusante, d’une noirceur éphémère, pleine de promesses non tenues et qui finalement s’en est allé rejoindre, tristement et comme tant d’autres, le champ de ruines de la télévision.
Annulée au bout de trois saisons inégales mais courageuses au profit de Nurse Jackie, United States of Tara confirme ce que l’on savait déjà depuis des années : que Toni Colette est une actrice de dingue. Côté casting, d’ailleurs, le tout est à l’avenant : Patton Oswald, Rosemarie DeWitt, Brie Larson (avant qu’elle ne devienne l’énième chouchoute d’Hollywood) et surtout John Corbett, le DJ échappé de Northern Exposure. Petit à petit, et malgré tous les défauts que la saison 2 a pu amasser au fil du chemin, cette comète télévisuelle a propulsé la famille Gregson pour accompagner mes soirées; davantage que les tribulations de Tara et les origines (peu claires) de sa pathologie, la série développée par Diablo Cody a pris un sujet sensible et périlleux (le trouble dissociatif de l’identité et ses conséquences parfois embarrassantes) pour disserter avec brio sur la pluralité des humeurs et l’intranquillité permanente qui bouillonne dans chaque famille. Même s’il y eut des égarements, ou quelques rebonds narratifs mal amortis (notamment toute la question de la découverte de Marshall quant à son homosexualité, malheureusement caricaturale), UST a réussi à faire de son season finale un plausible series finale et demeure parmi les séries « modestes » les plus immensément tendre envers ses personnages que j’ai jamais vu. Ne serait-ce parce qu’ils sont, comme nous, tous à la recherche d’un idéal que la vie s’amuse souvent à contrecarrer.
L’insoutenable instabilité de l’être
Un Village Français (France 3, 2009/2017 – 7 saisons, 72 épisodes)
Qu’auriez-vous fait ? Qu’aurions-nous fait ? Pendant huit années, Un Village Français n’a eu de cesse de poser implicitement la question à des spectateurs parfois si sûrs de leurs jugements, sans jamais, justement, condamner leurs personnages.
Dans un contexte historique chargé (l’Occupation), prompt donc à une dramaturgie casse-gueule et facilement manichéenne, les créateurs d’Un Village Français ont opté pour un récit choral étoffé par une palette riche en nuances de gris. Toute en contrastes et en ascenseurs émotionnels. Parce que le héros d’hier peut devenir le salaud d’aujourd’hui. Parce que le collabo est peut-être un Juste incompris. Parce que la puritaine est celle qui regorge le plus d’amour. Parce que le militant aux idéaux nobles est aussi le lâche le plus infâme. Au passage, UVF n’oublie pas d’être un feuilleton – bougrement addictif et rythmé – qui contredit toutes les mauvaises langues qui crient à tort et de travers qu’il n’y a que les anglo-saxons qui savent pondre des séries dignes de ce nom. Non seulement UVF est une leçon d’écriture mais elle est sacrément bien mise en scène, débarrassant de ses têtes d’affiche (Robin Renucci en tête) de certains tics théâtraux. C’est une série dense, bouleversante, effrayante, terrifiante, stimulante, didactique sans être pontifiante, et qui nous ramène, toujours adroitement, à une actualité étrangement similaire. Une œuvre marquante, sans concession, qui devrait être vue, et revue, par le plus grand nombre…