30 ans, 60 séries – épisode 5/6: 2010/2015

The Americans (FX, 2013/2018 – 6 saisons, 75 épisodes)

the-americansNe vous fiez pas à l’affiche un peu racoleuse située sur la gauche de ce paragraphe. Fausse série d’espionnage autour de deux agents du KGB infiltrés dans l’Amérique des années 80, The Americans est davantage un drame intimiste porté par deux acteurs merveilleusement funambules (Matthew Rhys et Keri « Felicity toujours aussi sexy en diable » Russell) qui tiennent l’équilibre émotionnel de la série pratiquement à eux-seuls. Dans un pays capable d’élire un ancien acteur tel que Ronald Reagan comme président, comment ne pas lire, au travers de la série développée par Joe Weisberg, une parabole sur l’apparence et l’image déguisée que l’on renvoie quotidiennement aux autres ?

Outre cette lecture qui justifie à elle-seule tout l’attirail de déguisement de nos deux espions, The Americans livre surtout (non sans suspense) une réflexion pointue, poignante et pertinente sur le couple -cette symbiose précaire entre deux êtres qui se connaissent par cœur mais qui continuent de se découvrir- doublée d’une désacralisation totale du modèle familial si cher à nos amis d’outre-Atlantique. Lancée au moment où Homeland était au cœur de la majorité des conversations, The Americans a probablement pâti du contexte de son lancement et du genre auquel on a voulu trop vite la ranger. C’est une série qui n’a jamais cessé de se bonifier pour livrer, in fine, une ultime saison d’un pessimisme absolument grandiose. Il faut absolument la redécouvrir tant elle épouse la problématique d’un des livres de mon auteur fétiche, En un combat douteux, de John Steinbeck: jusqu’où est-on préparé à aller pour défendre ses valeurs ?

Ah, au fait, vous ai-je déjà dit que j’aimais beaucoup Keri Russell ?
Oui ?
Alors enchaînons.

BoJack Horseman (Netflix, 2014/2020 – 6 saisons, 76 épisodes)

bojack-horsemanLa plus grande et la plus belle réussite du mastodonte Netflix n’est pas une série carcérale féminine et orangée, ni celle autour d’un Président corrompu qui manigance en voix off dans sa Maison Blanche, mais une série centrée sur un cheval dépressif, alcoolique et nombriliste.

Apparue en toute discrétion dans le courant de l’été 2014, BoJack Horseman s’est rapidement émancipée du registre de l’animation pure pour emprunter les chemins du feuilleton. Finis les épisodes autonomes avec un début, un milieu, une fin. Dans BJH, le temps est en permanence implosé puisqu’il est au cœur des préoccupations existentielles de tous les personnages. Un drame plus qu’un cartoon en quelque sorte, dans lequel chacun des protagonistes s’interrogent sur sa vie sociale, amoureuse, professionnelle avec, au centre des préoccupations, cette recherche d’un bonheur qu’ils n’arrivent pas à définir. Une série surprenante donc, capable de maîtriser son récit sur plus de quatre décennies, de lancer des vannes intergalactiques capables de rembarrer n’importe lequel des comédiens de stand up, gérant ses running gag avec un timing parfait et, surtout, susceptible de vous terrasser d’émotion au moment où vous y attendrez le moins. Une série magistrale, étonnante, qui donne à réfléchir sous des contours loufoques et colorés, et dont la poésie mélancolique se révèle avec une grâce insoupçonnée.

hand-389120_960_720On en a parlé:

BoJack Horseman – Drame chevaleresque

 

Brooklyn Nine Nine (Fox puis NBC, 2013/toujours en production – 7 saisons, 139 épisodes)

Quoi ? Une sitcom centrée sur une équipe de policier du 99ème (et fictif) district de New York ? A priori, rien de véritablement révolutionnaire dans le genre, ni même dans le style. En effet, la recette de Brooklyn Nine Nine est simple: on prend un groupe constitué d’excentriques, on l’isole pour la majeure partie des intrigues, on secoue et on sert bien chaud. La recette est simple mais elle fonctionne du tonnerre de Dieu. Car Dan Goor et Michael Schur, les géniteurs de cette belle bande de joyeux lurons, sont des scénaristes ayant déjà fait leurs preuves par le passé (Parks and Recreation, The Good Place, The Office, pour ne citer qu’elles).

Nine Nine n’invente rien certes mais elle témoigne d’un savoir-faire qui joue avec le plaisir du spectateur depuis sept saisons déjà. Rythmée, punchy, pleine de tendresse à l’égard de ses héros bourrés de tocs et de tics (tous les acteurs, Andre Braugher en tête, sont FAN-TAS-TIQUES), hilarante la plupart du temps, bourrée de running gags qui se renouvellent à merveille, Nine Nine fuit paradoxalement la routine d’un genre pensé pour ne jamais s’arrêter. Rien que pour cela, et pour pas mal d’autres choses aussi, elle demeure l’une des meilleures comédies de cette dernière décennie.

Fargo (FX, 2014/toujours en production- 3 saisons, 30 épisodes)

Sur le papier, Fargo avait tout d’un projet casse-gueule. Comment diable pouvait-on user du classique cinématographique des frères Coen et le transposer éhontément à la télévision ? Assurément, cela allait devenir une sorte de truc infâme et malhabile qui irait rejoindre les ordures dès le troisième épisode. Les a priori ont la peau dure, cela tombe bien: Fargo aussi.

Contre toute attente, l’anthologie développée par Noah Hawley créé la surprise en conservant cette même appétence féroce pour un jeu de massacre savamment orchestré. On y croise les mêmes lâches, les mêmes loups, les mêmes idiots, les mêmes balourds d’une espèce humaine qui n’aime rien tant que se marcher sur la gueule pour s’enrichir. Avec une architecture narrative surprenante – quand bien même l’on sait pertinemment que tout cela va mal finir- et une cinématographie de plus en plus inventive au fil des saisons, Fargo taquine sévèrement le film dont elle est la cadette. En espaçant ses intersaisons pour travailler chaque nouvelle moisson d’épisodes avec méticulosité, Noah Hawley se paye le luxe de nous faire oublier le film qui nous a poussé à écouter ses histoires. Des histoires qui finissent mal, oui, mais dont la morale et le degré de cynisme font énormément de bien.

Halt And Catch Fire (AMC, 2014/2017 – 4 saisons, 40 épisodes)

La plus belle série du monde que personne, à part quelques critiques éclairés et une poignée de blogueurs avertis, n’a regardée. Pour faire court, Halt And Catch Fire, c’est un peu un Mad Men transposé dans les années 80. Au début.

ll y a donc deux manières de présenter Halt And Catch Fire. La première, c’est de la voir comme une série contemporaine et de la suivre comme on suivrait une docufiction retraçant l’extraordinaire épopée que furent les premiers ordinateurs domestiques, les Apple vocaux, et autres moteurs de recherches en pagaille à l’époque où Internet n’était à peine qu’un terrain de jeu au potentiel vaguement perceptible. On peut, en effet, la regarder comme telle et se prendre de passion pour son seul intérêt historique. La deuxième, et de loin la plus importante, c’est de la présenter comme une série qui ne raconte ni plus ni moins qu’une décennie d’amitiés tourmentées entre quatre personnes. Quatre personnes n’ayant rien en commun, hormis une frénésie d’inventer et de s’épanouir à travers le processus de la création.

Joe, Gordon, Donna et Cameron sont donc portés par une ambition dévorante d’aller à l’encontre de demain. De dessiner un futur qui leur ferait oublier un passé douloureux au point de ne plus profiter du présent; et de le réaliser sur le tard. Ce sont des personnages contradictoires, qui ne cessent de se projeter – avec leurs rêves et leurs illusions- et qui vont faillir dans à peu près tout ce qu’ils vont entreprendre. Ce sont de magnifiques figures de l’échec pour lesquels on s’amourache très très fort. A tel point que lorsqu’arrive la fin de la série, on n’a pas envie de les quitter. Avec tous leurs qualités et leurs grands défauts. Car HACF est une série précieuse, terriblement et magnifiquement humaine. Elle brille d’un éclat mélancolique qui n’a rien à envier avec les plus grandes œuvres télévisuelles sempiternellement citées.

Justified (FX, 2010/2015 – 6 saisons, 78 épisodes)

justifiedNe croyez pas ceux qui vous disent que le western est mort avec Sergio Leone: il suffit de regarder Justified pour les convaincre du contraire. Le point de départ de cette série atypique ? Une « bavure » comme on dit dans le milieu. Un prétexte pour ainsi dire. Une astuce brillante de mise en scène qui renvoie le Marshall Raylan Givens dans son Kentucky natal, celui là même qu’il avait fui, où il est sommé de laisser son arme à feu sagement rangée tout en ayant à charge de s’occuper de la criminalité locale.

Si les premiers épisodes sont plus ou moins autonomes, les suivants dessinent une topographie étonnamment cohérente du lieu de l’action et dressent en parallèle le portrait d’une Amérique rurale totalement abandonnée. En somme, à Harlan, le choix est simple : soit tu deviens mineur, soit tu deviens hors-la-loi. Certes, les guerres de clans et autres magouilles de criminels n’est pas nouveau sur le petit et grand écran mais la série développée par Graham Yost puise dans son œuvre matricielle (les romans d’Elmore Leonard) pour y ajouter un supplément d’humour, d’ironie et de distanciation. Articulée autour de deux des antagonistes les plus cools de tous les temps (Raylan Givens donc et Boyd Crowder), Justified met constamment en scène des histoires étalées sur une saison, avec, souvent, des échos temporels inattendus de l’une à l’autre, où les personnages sont capables de se tailler civilement le bout de gras pendant des heures avant de se tirer dessus. Extrêmement bien dialoguée, terriblement drôle, elle se bonifie et se densifie au fil des saisons (la deuxième étant, de loin, la plus grandiose) avec un art de la nonchalance si élégant que ce n’en est même plus du génie. Mais de la classe, tout simplement.

The Leftovers (HBO, 2014/2017 – 3 saisons, 30 épisodes)

the-leftoversSurvivre à Lost, était-ce possible ?

Damon Lindelof y répond en prenant le point de vue inverse, c’est-à-dire en choisissant le regard de ceux qui restent et non de ceux qui ont disparu. De ce choix logique dans l’œuvre du scénariste, Lindelof a de nouveau raconté une histoire extraordinaire à taille humaine. Avec, toutefois, ce petit plus totalement déstabilisant qui joue énormément dans le pouvoir de fascination (ou de rejet d’ailleurs) qu’exerce la série. Autant, avec son lot de péripéties, de rebondissements et d’interactions narratives, Lost est devenue une ode au vivre ensemble et à l’aventure humaine, autant The Leftovers désarçonne par son ambiance chargée du poids de la culpabilité d’être vivant.

Flirtant avec le mystère, la magie et la folie, The Leftovers est une série bouleversante qui se concentre  sur le réalisme cru des émotions et des sentiments. Sabordant les frontières entre le rêve et le réel, emplie d’un chagrin palpable mais portée par une envie crue de croquer ce qu’il reste encore de joyeux, The Leftovers est un petit miracle de sensibilité vive et tourmentée.

Mr Robot (USA Network, 2015/2019- 4 saisons, 45 épisodes)

Mr_Robot_TV_Series-978107021-largeLa lutte des classes, un sujet désuet ? Que nenni cher lecteur !

Sous les traits d’un hacker motivé par l’envie de changer le monde pour une meilleure répartition des richesses, Mr Robot interroge, trouble, fascine, séduit et déstabilise comme peu de nouvelles séries parviennent à le faire.

Loin d’être absconse et faussement complexe, la fiction développée par Sam Esmail (devenu, depuis la saison deux, seul maître à bord de la mise en scène) tisse une peinture incroyablement moderne sur un sujet intemporel. Le tout avec une virtuosité artistique ébouriffante. Une immense série, à la fois palpitante et pertinente, pessimiste et cynique, qui ne raconte rien d’autre que des hommes et des femmes cherchant encore un sens concret dans tout cet amas de réseau numérique qu’est devenu notre monde.

 

Rectify (Sundance TV, 2013/2016 – 4 saisons, 30 épisodes)

Après avoir passé presque vingt ans dans le couloir de la mort, Daniel Holden, condamné pour avoir violé et tué sa petite amie de l’époque, est relâché à la suite de nouvelles preuves ADN le discriminant. Innocenté aux yeux de la justice, entaché par sa réputation de tueur présumé, Daniel retourne dans sa ville natale et dans sa famille pour tenter de reconstruire sa vie.

Voilà. Qu’a-t-on dit une fois que l’on a posé cela par écrit ? Rien. D’ailleurs, derrière ce maigre résumé, Rectify donne l’impression d’être une série dans laquelle il ne se passe grand chose. C’est, pourtant, passer à côté de l’immensité sensorielle de ce chef d’œuvre confidentiel qui ne montre rien d’autre que le fil tenu de l’existence située en douceur et douleur. Rectify est une immense série, l’une des plus belles et des plus intenses qu’il m’ait été donné de voir. C’est une poème télévisuel. Une ballade folk. Une ode à la vie doublé d’un plaidoyer vibrant contre la peine de mort. C’est également la peinture d’une Amérique reculée, à la fois bienveillante et terrifiante, et le tableau d’une humanité hantée par ses instincts primitifs et cauchemardesques. Ce n’est pas une série toujours joyeuse mais ce n’est pas non plus une série plombante. C’est une série qui émerveille par sa fragilité, son tact, sa mise en scène, sa bande son, son générique (!) et qui a révélé un acteur de premier plan: Aden Young. Son interprétation de Daniel Holden, toute en intériorité, est assurément l’une des prestations les plus bouleversantes que vous ne verrez jamais. Il faut voir Rectify au moins une fois dans sa vie, ne serait-ce que pour la conseiller en retour…

Treme (HBO, 2010/2013 – 4 saisons, 36 épisodes)

tremeLe destin faisant parfois bien les choses, l’épisode du jour s’achève alphabétiquement en musique. Mais Treme, c’est un peu plus que cela. Treme, c’est de la musique mais aussi des ruelles, des lieux, des bars, des restaurants, des odeurs et des saveurs. Et des gens. Des gens partout. Des gens qui chantent, des gens qui jouent d’un instrument, des gens qui s’aiment, des gens qui se quittent, des gens qui se retrouvent et des gens qui partent. Treme, c’est l’histoire éternelle des hommes et des femmes qui ont des problèmes d’hommes et de femmes…et un petit ouragan nommé Katrina en plus à gérer sur leurs épaules. Avec Treme, David Simon n’a pas cherché à transposer The Wire à la Nouvelle-Orléans. Si elle ne possède pas les dimensions pamphlétaires de son grand œuvre basée à Baltimore, Simon, ici solidement épaulé d’Eric Overmyer, a cependant conservé les marottes de ce qui fait l’unicité de sa voix à la télévision: une empathie forte envers les gens, une colère saine contre l’injustice et la corruption ainsi qu’une charge lourde portée sur l’inefficacité criante de la politique économique actuelle.

Farouchement et férocement anti Bush à ses débuts, Treme a fini par puiser dans l’immensité chorale de ses personnages (tous attachants et vrais, y compris les crapules) pour mieux faire entendre tout ce qu’elle avait à dire et à raconter. Ironiquement, il ne se passe pas grand chose, Treme ne jouant pas sur les mêmes registres feuilletonesques qu’un Lost ou qu’un Mr Robot. Toutefois, tout en écartant d’un revers de note le condensé de toute série addictive qui se respecte (twists, rebondissements, cliffhangers), Treme a pris le temps de nous considérer comme un habitant à part entière de ce quartier haut en couleurs. Et si la dernière demi-saison est totalement dispensable, toutes les personnes ayant côtoyé DJ Davis, Janette Desautel, Toni Bernette, Big Chief Lambreaux ou encore le truculent Antoine Batiste songent toujours, à un moment donné, de revenir dans ce quartier qui, durant plus de trois années, fut un substitut vibrant, bouillonnant, coloré et vivant à notre maison.

hand-389120_960_720On en a parlé:

Treme – Coda

 

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