Dernier opus de la trilogie signée Sam Raimi, Spider-Man 3 est, en 2007, le film le plus cher de l’histoire du cinéma. Disney n’a pas encore Marvel pour remplir ses fonds de caisse, le MCU n’existe même pas à l’état de balbutiement et chaque adaptation de comics mettant en scène des super-héros sur grand écran demeure, en soi, un évènement de taille. Loin d’être une simple anecdote financière de comptoir, ce qui paraitrait en soi un détail badin et budgétaire est en réalité l’un, si ce n’est le, facteur absolu pour revoir et mieux percevoir un film qui connut un accueil en salles plutôt réservé. Paradoxalement, Spider-Man 3 sera le segment de la franchise qui rapportera le plus d’argent et, ce, en dépit d’un désamour voire d’un rejet franc de la part de la critique, des spectateurs et, pire, des fans de la première heure.
Les reproches adressés ? Un penchant pour une démesure mal assumée, une débauche d’effets spéciaux palliant les trous d’air d’un scénario inégal, déséquilibré et saturé par l’omniprésence de méchants, tous incapables d’être le réel pivot face à ce héros tacitement torturé qu’est Spidey. Mais là où la critique ne parvient pas à trouver de compromis, c’est face au traitement du personnage de Peter Parker, censé être présenté sous son jour le plus sombre mais qui, in fine, reste coincé au stade de sombre idiot. Bref, Spider-Man 3 semble être l’opus de trop. Pour cause, et même si un quatrième film est annoncé – le projet s’embourbant dans un developpment hell qui durera trois ans avant d’être tout bonnement annulé- Sam Raimi claquera la porte aux nez des pontes de Columbia et de Sony, fatigué d’être harassé par davantage de pressions et de contraintes. Plus d’une décennie après sa sortie, Spider-Man 3 est l’incarnation involontaire de plusieurs choses: il sonne à la fois le glas d’une période, il clôt la franchise d’une note mélancolique inattendue, et il laisse la voie à ce qui sera désormais une poule aux œufs d’or contrôlée, formatée et moulée avec plus ou moins d’efficacité mais beaucoup de moins de cœur…
Si Spidey 3 reste un grand film malade, il est loin d’être une œuvre qu’il est de bon ton de conspuer en société, surtout lorsque l’on superpose les coulisses d’un tournage mouvementé que Raimi dut subir avec le parcours de Peter Parker tout au long du récit. Bataillant avec Sony pour essayer de garder une forme d’emprise artistique sur son bébé, il est donc étonnant et troublant de revoir le film en prenant les critiques de l’époque comme points forts, voire essentiels, de sa réussite contradictoire.
Non, le réel ennemi de Spider-Man 3, c’est Peter Parker lui-même.
Et, par là-même, la projection des angoisses du cinéaste face à un personnage qui est en train de lui glisser entre les doigts.
Raimi ne voulait pas de Venom dans son film ? Sony le lui imposera quasiment de force; on a beau aimer Topher Grace depuis That 70’s show, Venom ne sera de toute façon pas le grand adversaire fantasmé par les producteurs et, nul doute, une majorité des spectateurs. L’Homme-Sable a beau être une magnifique idée de cinéma, il est malheureusement piétiné par le Nouveau Bouffon Vert et ses aspirations grandiloquentes de revanche. Non, le réel ennemi dans Spider-Man 3, c’est Peter Parker lui-même. Et, par là-même, la projection des angoisses du cinéaste face à un personnage qui est en train de lui glisser entre les doigts.
Je l’ai dit ci-dessus : à l’époque, Spider-Man 3 est le film le plus cher de son temps. Ironiquement, au début de l’histoire, Spidey n’est plus le héros dont JJ Jameson se délecte de décrédibiliser à grands renforts de unes tonitruantes de son Daily Bugle. Le Tisseur est désormais une immense vedette adulée par toute la ville de New York : Tshirt, peluches, selfies, cérémonies en grandes pompes… Tout n’est que glamour, paillettes, célébrations et vénérations; le poids d’un tel vedettariat commençant à faire monter la tête de Peter Parker qui délaisse progressivement MJ malgré lui. À l’instar de ce qu’il se passe dans la vie réelle (Spidey ayant repris un certain galon dans les librairies et les cours de récréation), la créature que Sam Raimi a entrepris d’adapter voilà juste cinq ans est (re)devenue une énorme manne financière. De fait, lui qui s’est toujours intéressé aux émois de Peter Parker traite son personnage comme une sorte de fantoche imbu de sa personne et le caricature à grands coups de mèche et de rimmel.
La relation entre Peter et MJ ayant été le cœur – au sens littéral du terme- de l’investissement émotionnel des spectateurs, il était presque logique que Raimi s’aventure de nouveau sur ce terrain pour malmener une romance commençant un peu trop à ronronner. C’est d’ailleurs par ce biais que le film trouve un écho de sens: loin d’épouser le romantisme bon enfant et totalement assumé des deux premiers volets, ce troisième segment divise les aspirations des deux tourtereaux et, par là même, apporte à la machine un voile de mélancolie surprenante et inattendue. MJ est elle-aussi en quête de reconnaissance, de reconnaissance professionnelle davantage que personnelle même, et le personnage joué par une Kirsten Dunst (décidément inspirée) s’éloigne de Peter tout comme le fait le spectateur. Bien sûr, on a beau se répéter que, quelque part, à un moment ou à un autre, les deux amoureux finiront par se retrouver, Raimi n’aime rien tant que malmener son héros fétiche en lui retirant tout ce qu’il a ardemment conquis à la sueur de son front et de son cœur. Là encore, et s’il finit par retomber à peu près sur ses pattes en raccrochant tous les wagons conduits par tous les villains de son récit chaotique, Raimi conclut son récit sur un Peter qui a franchit trop de lignes. Trop d’égos, trop de disputes, trop de distances. Là encore, on ne peut s’empêcher d’effectuer le parallèle entre ce que l’on voit à l’écran et ce que l’on sait des coulisses.
C’est donc un Peter penaud qui tente de se rabibocher avec une MJ dont la carrière d’actrice est désormais entre parenthèses, ce troisième opus s’achevant sur une réconciliation presque impossible. Une danse d’adieu, sans baisers, et sur lequel un voile triste est jeté. C’est terrible de terminer sur cette note. Terrible car l’on sait que l’on ne reverra jamais le couple Maguire-Dunst à l’écran; du moins dans ce contexte. Il n’y aura pas de nouvel opus pour rebattre les cartes. Il n’y aura plus le même sentiment, la même exaltation, la même frénésie et la même naïveté pour les avatars suivants du Tisseur. Lequel est, littéralement, décousu en fin de partie. Ne subsiste plus qu’un Peter et une MJ émus, qui savent et qui n’ont pas besoin de dire quoi que ce soit de plus. La séparation, si elle n’est pas consommée, est bel et bien là. Sous nos yeux. C’est là que le spectateur réalise ce qui était une évidence depuis le début: Spider-Man 3 est donc un film de rupture…
Spider-Man 3 (USA, 2007, 139 minutes)
Film réalisé par Sam Raimi. Scénario: Sam Raimi, Ivan Raimi et Alvin Sargent.
Avec Tobey Maguire, Kirsten Dunst, James Franco, Thomas Haden Church et Topher Grace.