Le Château des Animaux: les pièces de résistance

Les apparences sont trompeuses. Ce que l’on pense acquis, ou ce que l’on pressent comme tel, n’est jamais véritablement ce qui se déroule. En cela, les trois premières pages de Miss Bengalore, premier opus de la série Le Château des Animaux, nous annonçaient déjà la couleur en nous prenant par une ouverture à contre-pied. Une double page champêtre, tout droit issue des plus belles ouvertures d’un Disney que l’on aurait retrouvé par hasard, introduisait le contexte d’un univers où les hommes n’étaient plus et dans lequel les animaux avaient réinvesti un château déserté pour y jeter les bases d’un possible vivre-ensemble. La page suivante donnait une réponse – cinglante, violente et d’une cruauté absolue- à cette perspective; la démocratie n’avait pas eu le temps de s’installer.

 

 

À la place, entre les murs de pierre de l’édifice, a plutôt poussée une dictature efficace, retorse et écrasante, où la majorité trime pour une poignée dirigée par un taureau nommé…Silvio. Ces trois pages, sans doute les plus marquantes de la bande dessinée en 2019, introduisait le lecteur dans une fable aux multiples résonances. Politiques, bien sûr, mais également culturelles. Si l’on ne peut évidemment pas tourner les pages sans distinguer les influences disneyiennes dans le coup de crayon (magistral) de Felix Delep, on pense tout autant à George Orwell, Henry David Thoreau que LaFontaine. Autant de balises destinées clairement à un public adulte, quand bien même le trait de Delep laisserait à penser malicieusement le contraire. Ce décalage, entre un dessin faussement innocent et un récit philosophique et politique appuyé, s’équilibre par le savoir-faire de Xavier Dorison, scénariste chevronné et à pied d’œuvre sur plusieurs séries (Long John Silver, Undertaker, WEST), qui jongle entre toutes ces références tutélaires sans se faire écraser. Aidé du trait (prodigieux et insolent de talent, rappelons-le encore une fois) de Delep, Dorison tisse là un feuilleton joliment irrévérencieux dont les rebondissements bien troussés ne brossent jamais dans le sens du poil.

On suit donc les pérégrinations de Miss B, chatte à la blancheur immaculée, qui va, contre toute attente, et avec une candeur contagieuse, devenir le symbole d’une résistance alternative. Mais si l’idéal pacifique est pavé de bonnes intentions, il n’est pas non plus dénué de périls. Et, pour enfoncer une fois de plus le clou en faisant écho à l’amorce de cet article, le danger ne survient jamais où on l’attend…

Il n’y a pas d’enrobage ou d’écarts imposés pour plaire au plus grand nombre, quand bien même Dorison et Delep n’oublient pas de faire avant tout une série destinée à un large public. C’est là toute l’intelligence d’une série au cordeau qui, davantage avec son deuxième opus (Les Marguerites de l’Hiver), s’octroie le luxe d’être à la fois intemporelle et en forte coïncidence avec notre époque. Difficile en effet de ne pas entendre un écho aux propres soubresauts de notre actualité. Plus resserrée, plus grave, plus expressive dans les traits et enjeux des protagonistes avec lesquels elle fait corps, la série du Château des Animaux poursuit donc sa remarquable course, prévue pour quatre tomes en tout. Et parce qu’elle souffle un vent de résistance optimiste sur une époque où l’air n’est que trop vicié, cela la rend autant essentielle qu’indispensable.

Le Château des Animaux (Casterman, France, 2019/toujours en production).
Scénario: Xavier Dorison. Dessin: Félix Delep. Couleurs: Félix Delep et Jessica Bodard.
1. Miss Bengalore.
2. Les Marguerites de l’Hiver.

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