Il faut voir comme on nous parle, chantait Alain Souchon au cœur de Foule sentimentale qui, depuis, traverse les années sans prendre aucune ride. Pourquoi invoquer le chanteur à bouclettes et compagnon de Laurent Voulzy en amorce d’un film catastrophe Netflix avec un casting cinq étoiles en prélude à cet article ? Parce que ce vers tiré de cette chanson/déclaration/pamphlet/cri du cœur/satire correspond parfaitement à la tonalité de ce film fleuve (140 minutes) qui rappelle que le maison brûle et que tout le monde s’en tamponne le coquillard.

Autrefois prévu pour sortir en salles (amorce qui risque de devenir récurrente par les temps qui courent), Don’t Look Up est devenu en l’espace d’une poignée de semaines l’un des programmes les plus regardés de Netflix, provider qui n’en finit plus de récupérer les talents pour alimenter ses tuyaux (Martin Scorsese, Jane Campion, George Clooney, Alfonso Cuaron). Et pour cause : Don’t Look Up use du bon vieux ressort de la farce pour envoyer un excellent parpaing dans la tronche du spectateur. Le pitch? Deux scientifiques (Di Caprio et Jennifer Lawrence) tentent d’alerter les pouvoirs qu’une comète de la taille de l’Everest se dirige droit vers notre planète pour l’exploser de toutes parts. Mais ils auront beau beugler, jouer le jeu, être phagocytés par les médias ou récupérés par le système, rien n’y fera.
Si Adam McKay a mis son savoir bouffon au service de son récit, et du message évident enrubanné entre deux boites à rires jaunes, Don’t Look Up est à peine outrancier. Le pouvoir des lobbys, le mépris des lanceurs d’alertes, la récupération médiatique, les rouages circassiens des réseaux sociaux, l’apathie protectrice face au trop plein de vérités et d’infox… Rarement on aura vu une comédie jouer aussi bien avec le chaud et le froid, prodiguant une réflexion liant humanisme et misanthropie avec un nœud qui vous donne envie de passer la corde au cou. Le jeu de massacre a beau être jubilatoire, féroce et cartoonesque, tout sonne juste, vrai, crédible et réaliste. Don’t Look Up pourra être lu, vu et débattu comme l’analogie évidente du catastrophisme écologique dont sont responsables nos élus ainsi que de leur absence totale de gestion.

En soi, on pourra reprocher son ton caricatural et son manque de finesse dans la logique du propos. On pourra également répliquer que s’il faut qu’un film Netflix fasse le buzz pour remettre la problématique du changement climatique au centre des débats, c’est que l’Humanité est affreusement, honteusement, pathétiquement loin d’avoir fait le tour de la question. Une scène avec un Di Caprio méconnaissable et magnifique (cet homme vieillit décidément comme le bon vin) sonne d’ailleurs comme le climax de tout le film et ce vers quoi tout le cast (éclectique et à l’avenant) veut tendre : un énorme coup de gueule, à la fois désespéré et lucide, terrifiant et salutaire, qui hurle au scandale aussi bien qu’au réveil. Le film s’acheminera tranquillement vers sa fin où, sans divulgâcher quoi que ce soit, une réplique viendra faire mouche et sens dans tout ce maelstrom d’humains pathétiques et pourtant émouvants: « On avait tout. » Le problème ne venant donc pas du ciel mais bel et bien d’en bas.
On terminait 2021 exsangue, Don’t Look Up nous fait commencer 2022 avec une gueule de bois prompt à décourager tous les dolipranes, pour laquelle rien n’est joué mais tout semble perdu. La bonne année donc…
Don’t Look Up : Déni cosmique (Don’t Look Up, USA, Netflix, 143 min). Réalisé et écrit par Adam McKay. Avec Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence Meryl Streep, Jonah Hill, Rob Morgan, Cate Blanchett, Tyler Perry, Mark Rylance, Ariana Grande et Timothée Chalamet. Disponible depuis le 24 décembre 2021.