Superstore – Uber humanum est

Cela sera sûrement difficile à concevoir pour les lecteurs qui seraient venus s’égarer ici mais la sitcom est un genre que l’on considère comme noble aux États-Unis. Oui: outre Atlantique, il est possible de faire rire sans passer par des gags en dessous de la ceinture ou taquiner la beauferie xénophobe qui sommeille en chacun. Il faut dire qu’ici, dans l’Hexagone, AB Productions s’est tellement essuyé les pieds sur le genre que plus personne n’ose s’y frotter. Pensez donc ! Développer une comédie populaire se déroulant dans un centre commercial afin non seulement de brosser sur un même tableau un joyeux portrait de groupe et moult problématiques sociales paraitrait à n’importe quel directeur de chaine du service public un projet aussi absurde qu’invendable. Et pourtant, vous n’en rêviez pas mais NBC l’a fait; sans, peut-être, se douter de tout le culot dont la série allait faire preuve par la suite. On y reviendra.

De prime abord, Superstore est loin de créer l’originalité : un ensemble show (comprendre par là une série qui met en scène un groupe de personnages n’ayant que seul point commun le fait de travailler, ou d’évoluer, dans un même endroit) en milieu professionnel, il en existe des centaines : The Office, Brooklyn Nine Nine, Parks & Rec ou encore The IT Crowd pour n’en citer qu’une poignée usent toutes de leur environnement pour y bâtir plus ou moins la matrice de gags à répétitions. Étonnamment, là où la plupart des sitcoms reposent sur la dynamique comique de plusieurs seconds rôles autour d’un personnage moteur, Superstore fait le pari de l’esprit de troupe. Tout le monde a sa place et chaque personnage est, en soi, un moteur narratif.  

Là où Superstore se détache radicalement, c’est dans son aptitude à aborder frontalement une palette de sujets sensibles avec une désinvolture aussi légère que désarmante. Ainsi, la série développée par Justin Spitzer (ancienne plume ayant fait ses classes sur The Office) tisse peu à peu, et, ce, de manière assez tentaculaire il faut le reconnaitre, une véritable comédie humaniste et subversive qui n’hésite pas une seule seconde à rire – ou à créer le malaise- devant une multitude de problématiques sociales souvent graves.Loin donc, d’être hermétique à ce qui agite le monde à l’extérieur, Superstore laisse volontiers filtrer entre ses couloirs jusqu’à sa salle de pause la question de l’immigration, de la sécurité sociale, de l’assurance maladie, les armes à feu, la précarité, l’exploitation salariale, le consumérisme banalisé ou encore la lutte ouvrière. En résumé,

Superstore, c’est du Ken Loach ou du Guédigian qu’on fumerait sur un coin de canapé: même angle, même analyse, même amour des personnages, mêmes regard sur les dérives critiques et dérangeantes autour de l’ultra-libéralisme. Ce qui est d’autant plus notable, et remarquable de surcroît, c’est qu’elle ose  s’aventurer sur ce terrain miné de toutes parts avec une adresse et une pertinence que l’on ne lui soupçonnait pas; il faut dire qu’à ses débuts, Superstore laisse même entrevoir qu’elle s’aventurera sur le registre de la comédie romantique via le duo Jonah/ Amy…ce qui sera le cas mais ce qui ne constituera pas l’essentiel de la sitcom. 
Rarement une comédie ne s’était autant payé la tête des multinationales se goinfrant sur ses employés avec une pareille force de frappe. Osant tout, ne risquant rien, pouvant rallier absolument toutes les causes tout en pointant du doigt l’ubérisation de notre société, Superstore est capable d’exploser en un épisode toutes les idées reçues concernant l’incongruité de notre monde qui continue de profiter de la faiblesse et de la misère des hommes. On rit d’autant que l’on est atterré par l’exagération à peine modérée des scénaristes quant à leur analyse percutante de chaque sujet traité qui vaut tous les bouquins de socio. On ne peut que regretter qu’une série (qui aura tout de même duré six saisons avec une constance artistique marquée et une audience fidèle aux USA) n’ait pas trouvé acquéreur sur les chaines publiques de notre cher pays. 

QUELQUES TRUCS EN VRAC ET EN PLUS:

– Chaque épisode de Superstore contient au moins une parenthèse narrative totalement géniale sur la vie dans le centre commercial en dehors des deux/trois intrigues principales. Cela donne lieu à des moments absolument hilarants où le client lambda est zieuté dans des situations aussi incongrues qu’absurdes.

– On peut s’amuser à lister tous les faux prénoms que le personnage d’Amy inscrit à chaque épisode sur son badge. Et oui, chaque prénom est une trouvaille.

– Soyez attentifs à bien regarder l’épisode jusqu’au carton final: la société de production qui chapeaute la série décline toujours de nouvelles activités professionnelles totalement loufoques. Ouvrez l’oeil.
– Oui, Ben Feldman (Jonah) a joué dans Mad Men. Oui America Ferrera (Amy) fut Ugly Betty. Et, oui, Mark McKinney (Glenn) n’a pas cette voix haut perchée.


👌Superstore (USA, NBC/ 6 saisons, 113 épisodes). Série créée par Justin Spitzer.

Avec America Ferrera, Ben Feldman, Lauren Ash, Colton Dunn, Mark McKinney, Nico Santos…

Le site officiel de la série

2 réflexions au sujet de « Superstore – Uber humanum est »

    1. Ah ouais carrément, le top 3 direct ! Ecoute, tant mieux, cela me fait plaisir que tu aies découvert et apprécié cette grande sitcom à sa juste valeur.

      Je suis curieux toutefois: si Superstore est dans ton top 3, et que Friends est a priori le premier de ton podium, que reste-t-il ?

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