1989. Batman sort sur tous les écrans que le monde puisse diffuser. Partout le logo de la chauve-souris, le Joker démoniaque de Jack Nicholson ou encore la silhouette tout en rondeurs de Kim Basinger viennent phagocyter ce qui peut tenter d’exister, à cette époque, dans le microcosme du 7ème art. Affiches, pins, céréales, jouets, tapis de bain…l’effigie du Chevalier Noir est déclinée sous toutes les formes possibles et imaginables. La Batmania est telle que le film, qui récolte 400 millions de dollars et des brouettes, donne évidemment à la Warner l’envie irrémédiable de continuer à s’en mettre plein les poches. C’est donc tout naturellement que la société vient sonner à nouveau à la porte de Tim Burton afin que ce dernier remette la main à la pâte. Ce à quoi ce bon vieux Tim répond poliment par la négative, prétextant – et à raison- un éreintement prononcé après presque un an passé dans le brouillard anglais à subir non seulement les joutes de son producteur mais également les exaspérations de tous ces fans ingrats qui criaient au scandale sur à peu près tout et n’importe quoi. Vous connaissez la suite: le réalisateur à bouclettes brunes s’offre une bouffée d’air via son Edward aux mains d’argent avant de, tout de même, être tenté à l’idée de rempiler sûrement grâce à l’apport d’un généreux chèque.

Ces malices étant formulées, on saura gré à Tim Burton d’être revenu sur sa décision car Batman returns (aparté: oui, je ne dirais pas Batman: le défi car ce titre est aussi idiot que littéralement faux) est probablement le meilleur film que Burton aura tourné de toute sa carrière. Oui messieurs dames. Et oui, je connais sa filmographie donc ne me lancez pas des titres juste parce que vous êtes en désaccord avec ce que j’assène😏 Batman returns est un film magnifique car magnifiquement venimeux. C’est un conte cruel, d’une beauté froide et violente, dans lequel Burton va porter haut toute la thématique qui irrigue son oeuvre depuis le début: la différence. D’aucuns seraient tentés de dire la difformité. Or Burton, s’il affectionne les êtres fêlés ou hors du commun, plaide depuis Vincent pour une reconnaissance du beau bizarre. Batman returns en met en scène trois si ce n’est quatre protagonistes extraordinaires, chacun différent dans leurs parties. Ce choix, peut-être même davantage que la noirceur prégnante du film en lui-même, sera le reproche formulé par les critiques de l’époque. Pourtant, la multiplication d’intrigues ne demeure en aucun cas un argument en défaveur du récit déroulé par Burton pour ce deuxième opus du Chevalier Noir.
Nous sommes donc en plein Noel. Gotham City est à nouveau le théâtre d’attaques terroristes menées non pas par un clown psychopathe mais cette fois-ci par une troupe d’iconoclastes circassiens. Le but ? Mener la terreur et simplement mettre la ville à feu et à sang. Jusqu’ici, rien de nouveau. Sauf que le plus intéressant, et donc le plus réussi, c’est que les soi-disants vilains dans ce Batman sont ceux qui demeurent les plus respectables. Le grand personnage retors, celui qui causera bien des dommages collatéraux, est celui qui porte beau et présente bien sous tous rapports: Max Shreck, splendidement incarné par un Christopher Walken en très haute forme. Doté d’un brushing blanchi jusqu’au moindre centimètre capillaire, cet escogriffe va gentiment manipuler tout son petit monde et jongler avec chaque égratignure du coeur jusqu’à la fin du film. S’il fallait choisir une figure pivot du récit dans ce récit qui en compte plus d’une, c’est bel et bien celle de cet industriel malfaisant qui ne recule devant rien pour assouvir sa soif d’ambition, de pouvoir et d’argent.

Il y a donc du Charles Dickens déviant dans ce chef d’œuvre de Tim Burton. Dans cette manière de filmer des créatures incapables d’accomplir autre chose que de la destruction pure, en écho à un Destin qui ne les a pas épargnés. Ainsi, face à une société qui l’égratignera dès le premier faux pas, Pingouin s’écrasera de tout son poids face à sa volonté de ré-émerger socialement. Malmenée, violentée, Catwoman n’arrivera pas à surpasser son propre statut de femme humiliée par des hommes médiocres en marchant sur les mêmes plate-bandes qu’eux. Il est alors ironique de constater que Batman sera le témoin impuissant de tout ce chaos animalier où chacun en prend pour son grade. Ajoutez à cela que l’ensemble est d’un cynisme sans nom (il sera tout de même question de kidnapper des enfants pendant leurs sommeils afin de les noyer), et vous aurez une idée du cauchemar flamboyant qui consume cette œuvre crépusculaire, audacieuse non seulement pour le tout Hollywood d’hier mais encore celui d’aujourd’hui.
Lorsque le film sortit en 1992, on fut bien marri de constater que le blockbuster destiné à vendre des figurines et des burgers chez McDo était un spectacle capable de faire pleurer les petites têtes blondes. Batman returns est un film terrifiant, monstre au sens propre, avec une happy end tellement arrachée à la volée qu’elle en est presque un pied de nez. La Warner ne s’en est jamais remis. Preuve en est que la franchise a peiné pour revenir sur le devant de scène, sans jamais (à ce jour) retrouver véritablement les mêmes tourments et le même investissement émotionnel envers des protagonistes phares du patrimoine culturel. Burton, lui, a tout mis dans ce film. Et même s’il a évidemment signé plusieurs pièces maitresses par la suite (Ed Wood, Big Fish, L’Etrange Noël de Mr Jack), le californien chevelu a pris le mot blockbuster pour argent comptant: tout détruire, partout, et de toutes parts.
👏 Batman returns (USA, Warner/ 1992, 126 minutes)
Réalisé par Tim Burton. Avec Michael Keaton, Danny DeVito, Michelle Pfeiffer & Christopher Walken. Scénario de Daniel Waters & Sam Hamm.