Deadly Class – Reagan. Chaos, amour et confusion.

C’est un comics qui ne ressemble à aucun autre. Et comme comics ne veut, en soi, pas/plus dire grand-chose, c’est une bande dessinée qui ne ressemble à aucune autre; c’est une banalité que d’affirmer ce genre de phrase pour souligner en introduction ce qui sort de l’ordinaire et capter l’attention. Certes. Sauf que, là, c’est vrai. Aucun super-héros, aucun super-pouvoirs mais un enchainement d’épreuves, de sentiments, de trahisons, de tristesse et de violence d’une brutalité qui va droit au cœur. L’auteur de la dite série, Rick Remender, justement, a écrit Deadly Class avec son cœur ses tripes. Il n’a jamais caché la part autobiographique présente dans ce qui demeure, et demeurera à coup sûr, son chef œuvre magnifique et cabossé.

J’ai découvert Deadly Class à la seule vertu de sa couverture. En faisant également confiance à la qualité éditoriale de la maison Urban Comics. Bien m’en a pris car il n’est pas certain que j’aurai eu la curiosité de m’intéresser au pitch initial que propose la série. Encore que. Voyez plutôt : Marcus Arguello, 14 ans, devient orphelin à la suite d’une décision drastique de Ronald Reagan président en cours. Celle de couper net l’argent alloué à l’aide hospitalière en milieu psychiatrique. Résultat un fou se défenestre et tombe malencontreusement sur les parents de Marcus qui se retrouve à la rue avec comme seul objectif celui de se venger du président. Il est alors recruté pour intégrer une école internationale d’assassins. Voilà pour l’histoire. Le reste ? Le reste est une débauche de morceaux de bravoure et de narration démente. Déjantée. Baroque. Je dis volontairement débauche de la même manière que j’aurais pu user de déluge.

Les superlatifs n’étant pas de trop pour habiller les éloges, il m’est difficile d’expliquer à quel niveau Deadly Class est touchant à plus d’un point. Peut-être parce qu’il se détache d’abord, et rapidement, de son synopsis d’origine. Enfin – surtout- parce qu’il vogue vers des sentiers existentiels insoupçonnés qui peuvent résonner à tout âge. Si Marcus est un anti-héros de premier ordre, il est surtout une figure romantique à l’empathie contagieuse. Vecteur du récit, il en est sa force centrifuge qui dévaste tout sur son passage. Mélomane mélancolique, solitaire malgré lui, cynique par défaut, sincère par choix, Marcus est l’un des personnages les plus complexes, et les plus passionnants, découvert ces dernières années. Si un récit se mesure à l’aune de ses personnages, Deadly Class n’a pas à rougir de ses effectifs. Oui, les héros de Deadly Class fument, boivent, se droguent avec à peu près tout ce qu’ils ont sous la main, sont borderline et couchent à tire larigot lorsqu’ils ne sont pas parfois -souvent- de vrais sociopathes. Mais ce qu’ils font, ou ce qui leur arrive, n’est jamais de trop ; Remender n’use jamais de grosses ficelles ou, si tant est qu’il emploie de bons vieux ressorts narratifs, il le fait avec tact et talent. L’utilisation de la voix off par exemple, écueil on ne peut plus rebattu, trouve ici un écho juste, plausible, sensible. Elle permet de juxtaposer les étapes du passage de l’adolescence à l’âge adulte dans un huis clos inhabituel (une école d’assassins…), en évolution constante (… d’où l’on s’extrait rapidement) et avec un sens du timing et du rebondissement explosifs.

Ce qui compte n’est pas tant la relecture d’un teen drama qui aurait des velléités punk mais la peinture d’un individu qui cherche éternellement sa place dans un monde qu’il rejette tout en préservant son intégrité et sa sincérité. Or comment être soi dans un univers où tout n’est que paraître, compromis, hypocrisie et comédie ? Cela vous rappelle quelque chose ? Le monde réel ? Eh bien ajoutez à cela, en filigrane, la trajectoire d’une nation en deux décennies avec tout ce que cela comporte comme problématiques sociales, et vous avez une petite idée de ce qui vous attend à l’orée des onze tomes actuellement disponibles (le douzième, d’ores et déjà prévu, sera le dernier).

On pouvait difficilement faire l’impasse sur la forme de cette incroyable bande dessinée sans omettre de parler de la virtuosité du trait de Wes Craig. Qui met en scène aussi des bien des scènes d’action de maboul que des instants d’une solennité absolue. Qui croque et découpe ses personnages à la manière des failles habitant la dizaine de personnages de cette œuvre saillante. A vif, écorchée, et pourtant jamais, jamais dans le pathos ou le cliché. Au fil des pages volcaniques de cette virée pleine de souffrances, de deuils, de trahisons, de plages de répit et de bonheur apparent, les parcours émotionnels de Marcus sont en tous points admirables. Et hautement recommandables donc.

NOTES EN VRAC ET EN PLUS

  • Une intégrale est à paraître. Mais les volumes à l’unité possèdent des couvertures de dingues.
  • Syfy a adapté Deadly Class le temps d’une saison. Annulée faute d’audiences, je n’ai jamais osé y jeter un œil. De peur d’être déçu. Elle est, si je ne m’abuse pas, toujours disponible sur Netflix pour les curieux.
  • Tous les tomes de cette série ont pour référence des titres de chansons.
  • Un douzième tome est donc prévu. On l’attend de pied ferme.

Deadly Class (Urban Comics/Image Comics, USA, 2014)
Tomes 1 à 11 disponibles

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