Un monstre de musicien. Un stakhanoviste de l’album (rien que sur la seule année 2022, le chevelu de Jacksonville aura publié trois galettes). Un mélodiste qui s’applique même lorsqu’il s’amuse ; pour l’anecdote, rappelons au lecteur qui ne connaîtrait point encore l’artiste que le dit artiste en question s’est amusé à repriser des chansons de Taylor Swift. À sa sauce. Juste pour le plaisir. Ou pour l’exercice de style. Ou pour les deux. Un cas à part ? Probablement. Et principalement selon l’intéressé. Ryan Adams est tout cela et tellement davantage.
Rattrapé ces dernières années par la tornade #Metoo, le musicien avait fait profil bas, annulé les concerts, remisé ses complaintes et ses chansons au placard. Vu le barouf, le FBI sur les talons et toutes les pointures qui pesaient leurs charges de tout leur poids (Mandy Moore, Phoebe Bridgers), on ne donnait plus cher du bonhomme. Mais, de toute évidence, et même s’il était devenu persona non grata outre Atlantique, on écoutait encore ses albums. Certes les premiers davantage que les nouveaux mais les nouveaux tout de même, publiés un peu sous le manteau quasi dans l’indifférence générale ;ces derniers ne manquant pas d’intérêt en dépit de l’avalanche de titres livrés en pâture au tout Web. Par exemple, l’album Wenesdays, véritable mea culpa musical où la tonalité d’ensemble possédait une teinte étonnamment, étrangement familière. Comme si Adams se relisait lui-même à l’aune du scandale ayant noirci son image tout en cherchant humblement (?) une forme de repentir, de rédemption, de catharsis sur la pointe des pieds; Walk in the dark, incontestablement, demeure l’une de ses plus belles chansons. Et vous l’avez compris, en plus de trente de carrière, le gars en a déjà pondu une palanquée.
Bref. Et alors que Ryan ne s’esquinte même plus à (vouloir) retrouver les hourra et les plébiscites de sa prime jeunesse (les sorties de Gold ou Love is hell remontent déjà aux débuts des années 2000), qu’il suffit d’une écoute spontanée de son live au Carnegie Hall pour se faire à chaque fois la réflexion que le type est un p.tain d’artiste et de showman, Adams vient, une fois de plus, de sortir un disque. Son 20ème, 21ème – je ne sais plus, j’en perds le compte. Sobrement intitulé FM, le bougre fait mouche. Diablement. Pas sur toute la ligne mais en tenant la distance. Boosté par une pop joyeuse en diable (I want you, Love me don’t), magnifiant le kitsch avec la grâce assumée du mauvais goût (Fantasy file), le quadra bien tassé est en pleine forme. Sa patte du riff, de la mélodie catchy à l’architecture parfaite en passant par des lyrics à la limite du romantisme de jeune premier (When she smiles), tout l’album réussit l’exploit d’être un quasi pied de nez justifiant un comeback par la petite porte. Genre regardez, j’ai fait Hall of shame, moi aussi je peux faire des chansons susceptibles de passer en radio pour racheter tout mon amour. C’est limite si l’on ne se demande pas si Adams ne publie pas un nouvel album comme d’autres iraient jogger pendant 40 minutes.

Le gars a la pêche donc. La patate. Enfin, autant que peut l’être un chanteur de folk chevelu aux aspirations punk/rock/pop. Ironie du sort à l’heure où j’écris ces lignes, Ryan Adams revient littéralement sur le devant de la scène avec une tournée quasi sold out. On ne parlera pas de réhabilitation (en France, je pense qu’il n’y a guère que trois pelés et un tondu pour s’en préoccuper) ni d’un retour en grâce. Encore que. Pour avoir vu récemment quelques titres en live de cette tournée en cours, il semble évident qu’Adams ait conservé son humour, son ironie, sa sensibilité – son talent en somme- tout en ayant compris qu’il fallait se débarrasser de ses oripeaux de jeune con pouvant tout s’autoriser. Histoire de faire peau neuve. Faire du Adams sur scène sans être Adams dans la vie. Renaître après s’être cramé aux yeux du monde, il ne m’en faut pas davantage pour perdurer toute l’affection que j’ai, et que j’aurais, pour ce drôle d’oiseau.
Ryan Adams, FM (Pax-AM, 2022)
Disponible depuis le 19 août 2022.
Le site officiel de Ryan Adams
(c) photo: Ryan Adams Instagram