L’été où tout a fondu – Un grand, beau livre triste

Las d’être perpétuellement au carrefour du Bien et du Mal, le procureur Autopsy Bliss passe une annonce dans le journal local de la petite ville Breathed, Ohio. Il y convie le Diable en personne à venir converser avec lui. Le lendemain, Sal, un petit garçon noir en salopette fait son apparition et prétend répondre à l’appel de l’annonce. Nous sommes en 1984, l’Amérique est en pleine essor reaganien, et la vie de la petite ville des Appalaches ne sera plus jamais la même…

C’est peu de dire que l’on attendait le faux nouveau livre de Tiffany McDaniel, autrice de Betty dont le périple tragique et familial avait conquis mon âme comme rarement un ouvrage peut le réussir. Déjà publié aux éditions Joelle Losfeld1, L’été où tout a fondu a été repêché par les éditions Gallmeister suite au triomphe de Betty et retraduit dans la foulée2. On ne va pinailler sur le pourquoi du comment d’un tel procédé éditorial mais on remercie, une fois de plus, Gallmeister de nous avoir mis entre les mains un tel ouvrage. On ne va pas non plus s’amuser au jeu de la comparaison et dire si Betty est meilleur ou que L’été où tout a fondu est moins réussi ;Tiffany McDaniel a, paraît-il, travaillé tous ses manuscrits en même temps, dans la foulée. Ce que l’on affirmera en revanche, c’est cette confirmation que Tiffany McDaniel est une autrice. Une grande. Et d’une grande sensibilité.

Si Betty était une sorte de long, beau poème en prose – et de récit d’émancipation en forme de compte à rebours, L’été où tout a fondu est une histoire d’enfermement. De profonde solitude. A mi-chemin entre Stephen King et Carson McCullers. C’est également une forme de récit d’apprentissage à deux vitesses où les leçons apprises, dues à l’expérience d’une période où l’on se forge à devenir adulte – et à l’accepter- se payent au prix fort. Fielding, puisque c’est de ce personnage qu’il s’agit, sur l’été 84 qui a profondément bousculé le reste de son existence. C’est le narrateur adulte, vieux et désabusé d’une époque qui ne sait pas encore qu’elle contient tous les germes du chaos à venir. Tapis aux pieds des ruelles, le racisme et l’obscurantisme ne demandent qu’à poindre. Ce sida dont on ne sait encore peu de choses avance en catimini et cette époque insouciante que nous a tant vendu Hollywood couve des adultes terrorisés à l’idée de pouvoir pleinement être eux-même. La beauté du livre tient évidemment, et entre autres points de force, dans cette ambiguïté latente concernant la nature véritable du personnage de Sal. Dans cette franchise qu’il renvoie, précisément, aux habitants, face à leurs failles et autres ténèbres intérieures.

Il y a beaucoup de tourments dans ces pages où les non-dits l’emportent malheureusement toujours sur les déclarations d’amour trop lourdes à émanciper ou à confesser. Où les démons se tapissent derrière des clôtures bien sous tous rapports. Tableau d’une Amérique en pleine mutation (technologique, culturelle, sociale), litanie au blues et au spleen poignant, conte moral démoralisé et dévastateur, L’été où tout a fondu ne laissera aucun lecteur indemne. Il n’est question d’aucune rédemption, d’aucun deus ex machina, d’aucun répit. On ne révèlera pas, évidemment, le final de ce récit au carrefour des genres mais on préviendra l’intéressé(e) de garder précieusement un paquet de mouchoirs à portée de mains tant McDaniel orchestre le tout avec un sens du rythme parfois – souvent même- trompeur. En délivrant, ici et là, de magnifiques et déchirants passages, l’autrice signe un grand et beau livre triste. Qui, nul doute, laissera le lecteur avec l’écho de son enfance et de sa propre solitude.

L’été où tout a fondu (USA, 480 pages, Gallmeister), disponible depuis le 18 août 2022.

1 En mai 2019, sous la traduction de Christophe Mercier ; l’ouvrage est aujourd’hui épuisé.

2 La traduction a été confiée à François Happe, habitué et fidèle du catalogue de Gallmeister.

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