Ancien marine, Barry Berkman revient à la vie civile en menant une drôle de carrière. Tueur à gages aussi discret qu’efficace, Barry est accompagné de Fuches, bonhomme rondouillard lâche et sournois, qui lui dégotte des contrats à la petite semaine. Mais si Barry excelle dans l’assassinat, Barry broie du noir. Barry traverse une sorte de crise existentielle. Cette vie, il n’en a jamais vraiment voulu. Cela tombe bien car, cette vie, Barry va pouvoir la réinventer. En suivant l’une de ses nouvelles cibles, le tueur solitaire arrive à Los Angeles et intègre – sur un malentendu- un atelier théâtre tenu par Gene Cousineau (Henry Winckler, qui n’aura pas volé son Emmy), un acteur raté chapeautant lui-même une belle brochette d’amateurs désastreux. Barry se découvre alors une voix, une voie, une communauté et entend bien raccrocher son flingue au vestiaire. Sauf que…

Si la capacité actuelle d’HBO semble actuellement – et uniquement – se contenter à proposer des séries blockbusters (Game of Thrones : House of Dragons, Westworld et bientôt Last of Us), c’est oublier à quel point, fut un temps, le provider donnait le ton en matière de séries. Et donc de télévision. HBO écrasait tout sur son passage. Prenait des risques. Raflait des kyrielles d’Emmys. Se plantait parfois. Mais prenait le risque de l’exigence, du talent et de l’originalité. Aujourd’hui, à part quelques (trop) rares exceptions, on ne se dit plus réellement It’s not TV, it’s HBO. D’ailleurs, entre nous, qui s’enthousiasme encore devant HBO ? Mais, soit, ne nous égarons pas. Histoire d’être un tantinet précis dans le temps et dans le propos, cela faisait depuis Watchmen qu’HBO ne nous avait pas servi avec Barry une série aussi audacieuse et, disons-le tout net, impériale dans sa manière de se réinventer chaque semaine.
Ce n’était pourtant pas gagné d’avance : un bon pitch ne faisant pas une bonne série, Barry réussit la prouesse de tisser, l’air de rien, une trame feuilletonnesque au suspens croissant, tout en gardant une forme désinvolte d’humour et de noirceur, cruelle et nonchalante, qui l’empêche toujours de s’enfermer dans une forme de sérieux. Ce n’est pas faute de proposer, pourtant, des épisodes soignés, grandement mis en scène et régulièrement portés par une inventivité remarquable; ronny/lily, le 2.05, demeure une parfaite démonstration des qualités intrinsèques de la série et s’affiche comme étant l’un des épisodes les plus incroyables que l’on ait pu voir à la télévision ces dernières années. Et cette saison trois confirme tout le talent de Bill Hadler et d’Alec Berg. En fait, c’est même cela qui saute fougueusement aux yeux : là où House of Dragons se contente d’aligner les millions, Barry, avec une toute petite poignée de billets verts, s’offre le luxe d’ouvrir en grand le champ de ce qui aurait pu simplement n’être qu’une excellente petite série. Ce faisant, elle enquille des épisodes d’une dinguerie et d’une maitrise qui laissent pantois. Autant sur le fond que la forme; on pourrait parler du 3X06 et de sa poursuite en moto ou simplement du season finale qui rebat les cartes avec un panache à la fois inattendu et d’une évidence folle. Car cette manière de s’octroyer des sorties de route à la lisière de l’absurde pour débrayer ensuite sur des scènes à la poésie parfaitement décalées, ce don de faire rire de situations génialement amorales où le pathétique tutoie le génie, tout en parvenant à user du registre du polar afin de présenter une galerie bouffonne de protagonistes tous aussi déglingués les uns que les autres, sans oublier de raccrocher les wagons, est proprement admirable.
En découle, forcément et inévitablement vu le sujet, un discours sur le paraître et ces masques que l’on enfile quotidiennement pour briller et/ou mentir en société. De fait, si Hollywood en prend largement pour son grade, le propos ne se résume pas qu’à la satire qu’il portraitise: de prime abord, on rigole beaucoup devant Barry mais de manière désespérée. Par défense. On rigole beaucoup de voir ce tueur essayer de mener une vie qui n’est pas la sienne, s’évertuant toujours de prendre un chemin altruiste et propice au bonheur, mais qui se fait toujours rattraper par son propre Destin. Par la suite, et à bien des égards, si la série de Bill Hadler et Alec Berg choisit un humour en forme de poil à gratter pour désamorcer une violence diffuse et vénéneuse, le propos évolue vers du noir pur jus. Du noir qui tâche, à coup d’encre, de larmes, de cendres et de sang. C’est cruel et truculent. A la fois Auguste et Clown Blanc à lui seul, Hadler a également su s’entourer de seconds rôles essentiels et impayables: Stephen Roots (Fuches, pleutre parfait), Henry Winckler (qui excelle dans un registre d’égocentré vraiment délectable), Sarah Goldberg (Sally, génialement insupportable) et, surtout, Anthony Carrigan (Hank) qui mériterait à lui-seul d’avoir son spin-off. Ajoutez à tout cela un sens du cliffhanger couillu et toujours bien troussé et vous avez là un petit bijou qu’il serait vraiment, vraiment criminel d’ignorer.
Barry (USA, HBO- 2018- 3 saisons, toujours en production)
Série télévisée américaine créée par Alec Berg et Bill Hader.
Diffusée sur HBO et sur OCS depuis le 25 mars 2018.