On ne va pas se cacher derrière son petit doigt qui tapote sur ce clavier : Laurine Roux est une magicienne. Une fée qui se réinvente à chaque livre. Qui possède ce don de captiver dès les premières pages. Qui fait suivre au lecteur un chemin où le merveilleux n’occulte jamais une réalité souvent noire, triste ou cruelle (parfois même les trois). Sans doute davantage qu’avec ses romans précédents, Laurine Roux livre (sans jeux de mots) avec Sur les épaules des géants un ouvrage total. A l’enthousiasme et à la générosité contagieuse. Car il faut bien comprendre que l’objet en question est magnifié par les superbes gravures d’Hélène Bautista, délicat et pertinent essaim d’un récit fourmillant au fil duquel la galerie de personnages pétarade de mille couleurs.
Généreux disait-on. Par sa structure déjà, son enchevêtrement de chapitres courts, à la cadence parfaite. Par sa langue ensuite, faussement désuète et ragaillardie sous la houlette d’une autrice qui, c’est évident, a pris plaisir à raviver un parlé imagé et joliment sonore. Généreux enfin, parce que tout cet enrobage ne serait que pur (mais brillant) exercice de style s’il ne se transformait pas sa matière narrative en une façon bien particulière de voir le monde. Roman à la croisée des genres à la popularité revendiquée, Laurine Roux croque un univers où la science s’allie avec la poésie, entre la Première Guerre Mondiale jusqu’à la chute des deux tours du World Trade Center, et tournant toujours autour de l’inévitable propension des hommes à créer le chaos. Et dans lequel ce sont les femmes qui réinventent, sans démériter et malgré les épreuves, la culture et l’essence même de ce qu’est le bonheur. Donc de l’existence. Comprendre par là qu’il faut se laisser porter par les élans de son cœur. Vivre joyeusement et bien entouré. Et écouter les chats philosophes ; ils sont, si ce n’est d’excellent conseil, toujours clairvoyants.
Affirmer que Sur les épaules des géants est un enchantement relève de la litote. C’est Jacques Prévert qui rencontre Alexandre Dumas. On peut le lire comme un feuilleton, une saga historique et familiale, ou comme un excellent roman d’aventures – ce qu’il est, brillamment, en tous points. Il demeure surtout, après le lumineux Zizi Cabane de la non moins talentueuse Bérengère Cournut, le roman dont notre époque a précieusement besoin.

Sur les épaules des géants (Laurine Roux).
Roman disponible aux éditions du Sonneur depuis le 13 octobre 2022.
384 pages. 24 euros.
Une réflexion au sujet de « Laurine Roux – Le sens de la hauteur »