Rage Against The Machine – Le côté obscur et la force

Question : comment continuer une carrière lorsque l’on vient de signer l’un des albums les plus importants de tous les temps et que l’on s’appelle Rage Against The Machine ? Comment poursuivre sans perdre une crédibilité acquise à grand renfort de textes pamphlétaires, d’une violence aussi radicale que ne l’est le monde qui l’impose à tout va ? Se poser cette question, c’est interroger toute une dynamique, tout un système contre lequel le groupe s’insurge, car le simple fait même de poursuivre une carrière, a fortiori au sein d’une major, pourra(it) paraître hypocrite aux yeux des contradicteurs les plus aguerris. Comment poursuivre donc et, pourrait-on se permettre d’ajouter, pourquoi ? Eh bien tout simplement en démontrant contre toute attente que la foudre peut atterrir deux fois au même endroit.

En reprenant les mêmes comparses que pour l’opus précédent, la bande des RATM ne change pas son line up d’un pouce et se retrouve donc quatre ans plus tard, à sonner une fois de plus à la porte d’Andy Wallace, ingénieur du son au légendaire carnet d’adresses, afin que ce dernier rempile aux manettes après avoir astiqué les calibres du premier album. Enfin, et c’est presque une évidence que de le formuler par écrit, si tant que les choses n’étaient pas assez claires pour certains, si tant est que Killing in the name n’était pas destiné à devenir le hold up des charts que l’on connait, RATM va désamorcer tout quiproquo et donner le change rien qu’à l’ouverture du livret de ce deuxième disque. Ainsi peut-on découvrir toutes les influences littéraires (et non musicales, ironiquement) de ce qui irrigue l’écriture de Zach de la Rocha : John Steinbeck, Frantz Fanon, Che Guevara, Malcolm X ou encore Rebellion from the roots, manifeste du journaliste John Ross sur le Chiapas. Nous sommes en 1996, Bill Clinton entame son second mandat et RATM peut tranquillou livrer son deuxième (et très attendu au tournant) album. En se payant une petite pique à l’égard de Ronald Reagan, comme pour rappeler que le Diable se cache toujours dans les détails.

Si Evil Empire ne parvient pas à éclipser la force de frappe séismique que fut l’album éponyme, il est loin de démériter au sein d’une discographie courte (quatre albums studio, dont un de reprises, et pléthore de live, bootlegs et autres captations de reformations en veux-tu en voilà). Autant le disque fondateur (appelons le comme cela) regorgeait de mélodies catchy (Bombtrack, Wake up, Know your enemy), elles-mêmes impulsées par les riffs démentiels de Tom Morello, autant Evil Empire se plait à fissurer l’architecture de morceaux susceptibles de passer en radio. Certes, Bulls on Parade ou People of the sun prétendront brillamment à leurs statuts de « tube » mais on s’étonnera d’entendre à quel point Tire me, Vietnow ou, mieux encore, Snakecharmer déconstruisent par leur forme la charpente même d’une éventuelle récupération commerciale. Evil Empire sonne éminemment comme du Rage (à savoir ce savant mix de metal, de hip-hop, de rock et de funk) mais un Rage brouillé, escarpé, rêche, parfois ardu et ambitieux dans ses dédales sonores. On ne peut que se féliciter d’un tel désir artistique, même s’il est évident qu’à force de vouloir dérouter, la bande perd (quelque peu, forcément) en authenticité ce qu’elle conquiert en efficacité et amplitude. Sans y aller de main morte, RATM passe donc à la moulinette toute la mythologie sur laquelle les États-Unis se sont fondés : génocide(s), capitalisme, néolibéralisme, colonialisme, port d’armes, masse média, religion, prison (« Is all the world jails and churches? » pourra-ton entendre dans l’incroyable Vietnow)…

D’aucuns jugeront sans doute qu’il s’agit là d’une posture. Juvénile, démagogique. Caricaturale et bêtement contractuelle. Qu’il ne s’agit pas de dénoncer en citant Sartre et Fanon avant de beugler sur des mélodies parfois à la limite de l’audible pour se donner une attitude; attitude désormais en phase de discrédit au vu des reformations éparses du groupe tous les cinq/dix ans. A ceux-ci, on répondra en haussant les épaules. Et en terminant cet article de la même manière qu’il a été amorcé, soit par une question forcément rhétorique: combien de groupes peuvent se targuer d’avoir décapsulé les consciences à coup de pogos et à une échelle aussi large ?

Rage Against The Machine, Evil Empire (Epic Records/ Sony, 1996).

Disponible en CD et vinyle.

Le site officiel des RATM

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