Elliott Smith – Une histoire d’allumettes

Je n’aime pas les anniversaires. Surtout les anniversaires de mort. Les commémorations, les hommages… je peux en comprendre les motivations mais, avec le temps, j’ai tendance à les éviter. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a aucune raison d’attendre un chiffre rond, ou une date clé, pour revenir sur le parcours d’untel ou unetel si celui-ci ou celle-là nous a marqués. Pourtant, la dernière fois que j’ai écouté Elliott Smith (c’est-à-dire il n’y a pas si longtemps), ça m’est remonté comme une claque d’outre-tombe: cela fera vingt ans cette année que le chanteur s’est éteint. L’ironie étant qu’Elliott Smith avait inauguré sa carrière solo par une chanson autour d’un feu d’artifice – la fameuse Roman Candle – et de son potentiel et prémonitoire double sens. Par la suite, Smith fera des étincelles avant de violemment partir en fumée. Comme quoi, on peut se suicider à grands coups de couteaux dans la poitrine, la dépression n’empêche pas de développer en route un sens très personnel de l’humour noir.

J’ai beau réfléchir, je ne me souviens plus comment j’ai découvert l’ami Elliott. Peut-être, comme pas mal de gens, en regardant pas de ses morceaux phares barioler la bande son de Will Hunting. Non, en réalité ce fut par l’intermédiaire d’une amie de lycée, véritable et prolifique dealer qui me fournissait en musiques de bon aloi (Whiskeytown, Tom McRae, Turin Brakes) que personne dans notre entourage n’écoutait. Donc, au cas où, merci Gus Van Sant et merci Kathleen de m’avoir mis du Smith dans les oreilles à l’époque où, tant bien que mal, je tentais de bien me faire voir des filles. Quand le spleen adolescent revenait pointer le bout de son nez pour me tapoter l’épaule, écouter Elliott avait quelque chose de tristement réconfortant. Ce dont je me souviens, en revanche, c’était de constater à quel point le musicien, en plus de ses jolies parties de guitare, pouvait sonner comme les Beatles à lui tout seul. Prenez No Name #4 par exemple : si l’enregistrement sent bon la démo maison, comme lors du contexte où Springsteen faisait la boude à son E Street Band en confectionnant Nebraska seul dans son coin, il est radicalement clair que Smith a été biberonné aux Fab Four. Comme, vous me direz, tout bon anglais de souche. La nuance étant que, côté paroles, Smith possède des sujets de conversations et de thématiques bien plus noires que la plus désespérée des chansons des Beatles. No Name #4, pour en revenir à elle,se focalise sur un type pour le moins ambigu dont on ne sait si, oui ou non, il a abusé ou compte abuser de la fille dont il parle. Lennon et McCartney avaient beau avoir le sens de la formule grivoise, jamais ils n’auraient osé composer un truc pareil.

« Donc, si je résume bien, Elliott Smith, c’est les Beatles mais en mieux ? » Non. Jamais Smith n’a eu l’outrecuidance de penser de la sorte. Pardon ? Oui, pas comme les frères Gallagher, exactement. Smith était quelqu’un d’inquiet. Quelqu’un qui a trouvé dans les effluves folk une stabilité artistique bien plus conforme que celle qu’il avait tenté de développer à travers son expérience au sein de Heatmiser. Je n’irais pas jusqu’à dire « personnelle », étant donné que je ne connaissais pas le chanteur. Ce qui est idiot parce que je l’aurais rassuré au maximum de mes possibilités. Je lui aurais que ses albums sont fabuleux et qu’ils contiennent sans doute les ultimes bijoux folk qu’un musicien anglophone puisse confectionner. Que Either/Or, XO ou Figure 8 sont de purs chefs-d’œuvre qui vous remettent les valves de votre cœur malade bien à leur place. Que Say Yes est la plus belle chose que l’on puisse dire à la femme qu’on aime. Que Pisteleh et Angeles me foutent par terre, même à la trois millième écoute. Que Needle in the hay vaut bien The needle and the damage done, et que toute cette drogue de merde ne le mérite pas. Qu’il faudrait arrêter ses conneries qui ont tué tant de gars brillants avant lui. Que, s’il le veut, je prend de mon temps pour tenter de lui faire voir le monde autrement. Pour lui dire que vivre c’est douloureux mais que c’est beau aussi. Et que, contrairement à ce qu’il affirme parfois, tout peut avoir un sens ou une direction dans ce putain de bas monde.

J’étais dans un des couloirs de mon université quand j’ai appris la nouvelle. De savoir la cause de sa mort m’a peut-être plus choqué que l’annonce de sa mort même. C’était la première fois qu’un chanteur que j’écoutais décédait de mon vivant. Freddie Mercury, Kurt Cobain, John Lennon… j’ai grandi avec ces types là alors qu’ils ne respiraient plus le même air que moi. En rentrant chez moi, j’ai mis un disque. Je ne sais plus lequel et cela n’a guère d’importance. Chose que je ne fais jamais et que je n’ai jamais fait depuis, j’ai craqué une allumette. Tu parles d’un cliché. J’ai pensé à plein de choses. Pourtant, je n’ai ni pleuré mon adolescence passée ni pensé à mes amis de lycée dont je n’avais, déjà, guère de nouvelles. J’ai laissé ce petit bout de bois cramer tout son souffre et se consumer jusqu’à en sentir mes doigts se brûler. Puis j’ai soufflé. Avec les années, j’ai continué à écouter Elliott Smith et à me surprendre de penser qu’il demeure sûrement le meilleur songwriter de sa génération. Depuis je ne regarde plus les allumettes de la même façon.

Le site officiel d’Elliott Smith

NOTA BENÊT:

La discographie du chanteur est relativement courte mais pléthorique (cinq albums en l’espace de six ans). Difficile d’en mettre un au-dessus du panier mais vous pouvez écouter dans l’ordre Either/or, XO et Figure 8.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s