Les 12 travaux d’Astérix – La raison et la force

En même temps que sort Les 12 travaux d’Astérix sur les écrans de cinéma parait, en 1976, ce qui demeure probablement l’album le plus cynique des aventures du petit gaulois : Obélix et compagnie. Charge anti-mercantile à l’ambiance assez mortifère, Obélix et compagnie est l’avant-dernier opus de la série où officie encore René Goscinny : il décèdera l’année suivante, ayant juste le temps de mettre un point à la ligne du scénario d’Astérix chez les Belges. C’est peut-être un détail mais, au vu de la bonne humeur pétaradante qui souffle tout au long du dessin animé et de sa conclusion en deux temps (César prend sa retraite en compagnie de Cléopâtre tandis qu’Abraracourcix devient le chef de Rome), on peut avancer en toute confiance que Les 12 travaux demeure, à bien des égards, la véritable dernière aventure du petit village gaulois. Car le défi lancé au celui qui résiste encore et toujours à l’envahisseur – et dont Astérix et Obélix seront les évidents volontaires- ressemble bel et bien à une remise en question des auteurs face au binôme phare qui a fondé leur succès.

L’histoire ? En plus d’être totalement originale, elle demeure, comme l’ensemble de cette merveilleuse série scénarisée de main de maitre par un orfèvre du genre, aussi rocambolesque que savoureuse. Ne supportant évidemment plus d’être la risée de Rome (donc du monde), César interroge la divinité de ces adversaires: Astérix et les habitants sont-ils des héros ? Des demi-dieux capables des prodiges les plus exceptionnels ? Pour le spectateur, la réponse est évidente, d’autant plus évidente aujourd’hui vu l’appartenance du petit gaulois dans notre patrimoine culturel avec ses millions d’albums vendus de par le monde. A ce titre, la scène de présentation des personnages en début de dessin animé, narré par l’ineffable Pierre Tchernia, insiste sur le fait qu’Astérix est polyglotte; le petit gaulois déclinant alors « Bonjour » dans toutes les langues où la série est traduite.

Les douze missions qui sont donc assénées par César sont d’indéniables arguments prouvant la supériorité des personnages franchouillards sur la suprématie guerrière de l’empereur autant que la démonstration supplémentaire de ce qui, à l’époque, n’était déjà plus à prouver: le don, incroyable, qu’avait Goscinny à réinjecter dans son moteur narratif un carburant inventif riche pour arriver au terme de son récit. Chez Goscinny, la poursuite d’un prometteur et ingénieux point de départ reste essentielle; et c’est ce que n’ont jamais pu réussir Uderzo puis le duo à charge de continuer la série en bande dessinée: Astérix ne peut se résumer à un guide touristique entrecoupé de calembours. Les bons mots, les formules qui restent à l’esprit (ah, le formulaire A 38, le fait d’avoir faim à midi douze ou de se faire refouler parce qu’on pense qu’on veut faire immatriculer une galère) prennent de l’importance que parce que le contexte les embellit. Et non l’inverse. Si le travail dans la maison des fous est peut-être celui qui est resté le plus en mémoire, c’est parce qu’il cerne avec impertinence une administration kafkaïenne toujours actuelle: tel Sisyphe, les deux héros qui montent puis descendent pour remonter les escaliers de cette maison ne s’en sortent que parce qu’ils combattent l’absurde par l’absurde. C’est déroutant et profondément génial.

Au premier plan la raison. La force est juste derrière.
(c) Dargaud/Hachette/studios Idéfix

Alors certes, on pourra aisément concéder que la réalisation accuse un coup de vieux sur certaines scènes ; les studios Idéfix ayant, à l’époque, privilégié l’animation au premier plan au détriment d’un environnement souvent statique qui fige et date l’ensemble de manière un peu désuète. Et encore, quelques unes surprennent toujours par leur ton, notamment le travail qu’Obélix opère (avec facilité, évidemment) au sujet de manger tout le repas servi par le chef Mannekenpix ou l’affrontement contre les romains fantômes. Parfait même avec ses imperfections, Les 12 travaux reste un monument érigé à la gloire de Goscinny et Uderzo qui visaient une forme de pérennité dans l’animation hexagonale. Rythmée et orchestré jusqu’au barnum final avec une jolie maestria, ce dessin animé servant donc de possible conclusion aux aventures est surtout une ode à la ruse contre la force, une ballade anachronique prônant la roublardise et la gourmandise, bref un véritable poème sur la beauté de rester, envers et contre tout, un épicurien idéaliste. Un chef-d’œuvre on vous dit.

Les Douze Travaux d’Astérix (France, Royaume-Uni, 1976, 78 min).

Réalisé par René Goscinny et Albert Uderzo pour les studios Idéfix.

Disponible en DVD, bluray et sur Netflix.

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