Battre en retraite

Puis, d’un seul coup, ce fut décidé. Rares demeuraient ceux qui n’étaient pas surpris. Non par cynisme ou fatalité mais par logique. Simplement. Les autres, encore sous le sceau de la stupeur, furent dépités. Mâchoires béantes, cœurs ralentis. Probablement qu’à vouloir attendre un sursaut d’once d’humanité de la part d’un individu incapable d’empathie, probablement que ce fut là la preuve de trop. Celle où l’on réalise qu’il n’y avait en réalité rien à attendre d’un roitelet capable, encore, de causer de grands dégâts.

Alors on s’écharpa. On sortit. On libéra la rage. La déception. Le désespoir. La colère longtemps contenue, prisonnière d’un quotidien étriqué qui s’arrange toujours pour remiser à plus tard le courage de riposter. On disserta. On glosa. On pérora pour qui voulait poliment écouter. On écrivit beaucoup. De grandes diatribes. Des choses solennelles. On philosopha. Beaucoup. Beaucoup trop.

Au final, on entendit peu l’intéressé. Qui, de toutes façons, fit ce qu’il faisait depuis le début : la sourde oreille. Discourir admirablement la langue de bois. Tourner de manière à ce que l’on réalise que, oui, il fallait l’écouter lui. Qu’il avait raison. Envers et contre tous. On s’écharpa de plus belle. En place publique. On conspua untel, on blâma et on harangua les foules. On cria à s’en égosiller le larynx. En transpirant, postillonnant, éructant pour le bon spectacle de celle ou celui qui avait encore le courage de regarder ces tristes pitres interpréter une farce qui ne faisait plus rire quiconque. On clama que rien n’était perdu, qu’il fallait accomplir ceci et cela, sans que ceci et cela fussent au préalables décidés, planifiés, et applicables par les intéressés. Et pour le bien commun.

On serra les dents. On ne céda pas. On se fit la réflexion que chaque cause était un combat. Que chaque combat n’était jamais perdu. Ni acquis véritablement d’ailleurs, sur la durée. On continua d’envahir la rue. Malgré les menaces, les tombereaux d’injures, les pluies de coups. Et tandis que la colère devenait monstre, que le monstre rugissait de partout et de toutes parts avec une légitimité pugnace, lorsque l’on demanda au roitelet s’il comptait tempérer et apaiser le magma de fureur prompt à lui éclabousser le veston et sa triste carcasse, le roitelet s’esclaffa. Non pas de bon cœur – car il n’en avait ni de bon ni tout court – mais d’un rire franc. Carnassier. Enfin, il se reprit et répondit: « Moi, battre en retraite? Allons, soyons sérieux... »

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